dimanche, janvier 26

Depeche Mode, Sportpaleis, Antwerpen, 25 janvier 2014

A priori, Depeche Mode, c'est tout à fait ma came, un groupe des années 80, anglais jusqu'au bout des ongles, qui trouve ses origines dans la révolution synth-pop, qui elle-même plonge ses racines dans la mouvance post-punk. Dans un premier temps, on aurait pu les placer dans le même panier que Duran Duran ou Soft Cell, même en ce qui concerne ces derniers pour l'imagerie quelque peu sulfureuse. Les albums sont d'un intérêt limité, mais les singles sont régulièrement imparables, surtout à partir de Some Great Reward.

Puis vers 1985, une sorte de miracle se produit, avec Black Celebration, le groupe change de catégorie. Il s'extirpe de la superficialité de la pop de cette époque (Soft Cell excepté, comme quoi mes associations d'idées ne tiennent vraiment pas la route), les ambiances s'assombrissent, aidées en cela par la belle voix grave de Dave Gahan et les chansons se complexifient. Comme pour l’œuf et la poule, je ne sais pas si le succès américain de DM a précédé et influencé ce changement ou s'il en est la conséquence. Toujours est-il que, une fois Music for the Masses sorti, DM était devenu un groupe de rock taillé pour les stades, notamment américains. 101 le prouve amplement.

Le groupe poursuit sur la même lancée avec Violator et Songs of Faith and Devotion, deux albums splendides qui mêlent avec bonheur l'intensité du rock et les sons électroniques, exercice d'équilibriste qu'ils sont quasiment les seuls à réussir. Mon intérêt s'étiole ensuite progressivement avec Ultra et Exciter, deux albums que je n'ai pas aimés à leur sortie et rarement réécoutés depuis. Depuis cette époque, Depeche Mode est un groupe qui me semblait faire un peu partie de mon passé. Les deux albums qui ont suivi me semblaient un peu meilleurs, mais une fois mon avis établi, je les réécoutais rarement, alors que je repassais encore régulièrement Violator, Black Celebration ou Songs of Faith and Devotion.

Ce petit historique explique le fait que je ne les avais jamais vus en concert, malgré tout l'intérêt que j'ai par ailleurs pour le travail visuel d'Anton Corbijn. Lorsque j'ai commencé à aller voir des concerts, vers le milieu des années 90, mon intérêt pour leur musique avait décru, d'autant qu'à cette époque, ils ne jouaient plus que dans des stades et que, à quelques rares exceptions près, j'ai beaucoup de mal à apprécier un concert dans une salle plus grande que l'Ancienne Belgique (c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je ne verrai sans doute jamais plus en live des groupes que j'ai beaucoup aimés et aime toujours beaucoup, comme Elbow, Sigur Ros ou Radiohead.)

Cela étant dit, le concert d'hier était proche, durant un week-end et le premier single de l'album était prometteur, je n'ai donc pas pu dire non à un couple d'amis qui me proposait de les accompagner, malgré le prix (c'est de loin le concert le plus onéreux auquel j'ai assisté).

Je ne dirai pas grand-chose sur la première partie, Feathers, un quatuor de texanes qui joue une musique assez proche de ce que peuvent faire Grimes ou Client, avec des réminiscences de Goldfrapp ou La Roux, de la synth-pop gentiment éthérée, sans génie en studio, et tout à fait dispensable en live, notamment à cause d'un son qui transformait toutes les chansons en bouillie sonore sur laquelle il était difficile de rester concentré.... Ah si, une chose tout de même, c'était un quatuor de filles (le batteur ne compte pas, les batteurs ne comptent jamais), collées l'une à l'autre au milieu d'une grande scène toute vide. L'attrait du jeu de mots 'The birds of Feathers flock together' est donc irrésistible et je n'y résiste pas. Cela étant écrit, intéressons-nous au vif du sujet du jour : Depeche Mode.



Je pense qu'il est juste de dire que c'est la première fois que je vois un concert de rock de stade. Même si l'instrument de base du groupe reste le synthé, Depeche Mode est un groupe de rock, dans son attitude sur scène, dans la manière dont les concerts sont conçus, dans la dévotion qu'ils inspirent, etc... On ne trouve rien ici de la distance ironique de la pop. Tout est pensé au premier degré et cela a sans doute fini par me peser.

Les artistes que je préfère en concert ont tous une relation assez ambiguë avec le concept de performance live, et jouent volontiers avec les codes du genre. Les Pet Shop Boys transforment leurs concerts en happenings arty où la notion même de jeu live devient une sorte de blague entre initiés, Pierre Lapointe transforme ses spectacles en one-man-shows, les Nits jouent sur leur connivence pour donner à leurs concerts un caractère intimiste et poétique, Elbow (du temps où je pouvais encore les voir) jouait du désespoir et de la mélancolie avec une rare subtilité, tout en retenue et en délicatesse, demandant par exemple sans cesse au public de se taire et d'écouter. Aucun d'entre eux ne harangue la foule ou ne prend des poses de rock-stars pour recevoir l'adoration de leurs multitudes de fans.

Neil Tennant, ancien journaliste musical, a toujours eu un regard assez lucide et acéré sur le monde de la musique populaire, regard qui devrait même plaire à ceux qui détestent sa voix ou sa musique. Un jour, lors d'une interview, il a expliqué que c'était le fait de vendre du sexe (selling sex) qui permet à des artistes rock ou pop de devenir méga-populaires et/ou de le rester sur la durée. Or, de nos jours, un énorme succès qui dure doit forcément passer par de longues tournées, de loin la partie du métier de music-star qui rapporte le plus. Cette remarque de Neil Tennant s'applique donc à tout qui remplit des stades depuis 10 ans et, des Rolling Stones aux Killers, de Muse à One Direction et de Madonna à Justin Timberlake, il est difficile de lui donner tort.

Le moins que l'on puisse dire est que Dave Gahan l'a bien compris. A cinquante ans passés, le visage ravagé par les excès en tous genres, il continue à se déhancher comme un animal en rut à la moindre occasion, et le moindre centimètre carré de peau exposé provoque l'extase d'un public conquis d'avance. J'ai trouvé cela gentiment ridicule (le manque d'habitude peut-être), tout en devant reconnaître qu'un échantillon a priori représentatif de 15000 fans me mettait clairement dans la minorité. Par ailleurs, et je ne sais si c'est pour faire sexy ou pour faire rock-star, il n'arrêtait pas de cracher, souvent de telle manière que tout lui retombait sur la figure. Pour être honnête, je crois que c'est l'aspect du concert qui m'a le plus intrigué (chacun a les questionnements qu'il mérite).

Cette avalanche de clichés est d'autant plus triste que, musicalement, Depeche Mode reste un groupe dans lequel je me reconnais totalement, jusqu'au dernier album, Delta Machine, qui est une grande réussite. J'ai particulièrement aimé les deux intermèdes chantés par Martin L. Gore, dont l'attitude sur scène, la sensibilité et la délicatesse conviennent mieux à mon besoin de distance et de retenue. J'ai aussi été très amusé par la prestation d'Andrew Fletcher (Fletch), le membre du trio dont le rôle a toujours été peu clair pour le non-initié et qui, durant toute la soirée, n'a semblé jouer que deux ou trois fois sur son synthé, se lançant parfois dans quelques pas de dad-dancing qui m'ont fait sourire et se contentant le reste du temps de se dandiner de manière un peu empotée et de lever les mains en l'air sans raison apparente. Peut-être finalement sont-elles là, l'ironie et la distance que je recherchais, dans le fait que Fletch est encore sur scène, toujours montré à égalité avec les deux autres dans les incrustations sur écran géant alors qu'il ne ressemble plus à rien, n'a aucun rythme et ne semble pas faire grand chose. C'est en tout cas l'aspect du concert qui me les rend le plus sympathiques (la grammaire de cette phrase me torture, le plus/les plus... un avis ?).

A côté de ses deux comparses, Gahan est une bête fauve prête à tout pour faire exploser son taux d'adrénaline. C'est impressionnant à voir, et une partie de moi-même admire qu'il soit encore capable de jouer ce rôle à son âge, au premier degré, mais je dois dire que cela m'intéresse finalement assez peu. Je crois que dorénavant, j'apprécierai Depeche Mode en studio. J'y trouverai plus mon compte. Peut-être suis-je trop snob, ou trop vieux, pour les grands-messes fédératrices et les concerts de stade.

Meilleur moment du concert :

Pire moment du concert :
à égalité avec (je ne sais pas pourquoi il s'entête à la jouer, le groupe qu'ils sont en 2014 n'a plus rien en commun avec cette chanson) :



Sinon, pour les fans de Depeche Mode francophones, voici le (relativement nouveau) site de référence à consulter.

On y trouve notamment la setlist complète du concert d'hier.