A 20 h précises, Abi Wade rentre sur scène, violoncelle à la main et s'installe, non sans quelques difficultés : il faut fixer le pied du violoncelle, placer précisément les pédales lui permettant de frapper le tambourin et la boîte en bois qui lui servent de percussions. Tout cela prend du temps et ni le public ni elle ne semblent disposés à briser le silence, étonnamment pesant, qui règne dans la salle. Des deux côtés, on s'observe, on se jauge.
Quand la musique commence, c'est elle qui prend l'initiative dans ce lent processus d'apprivoisement réciproque. Les morceaux sont courts, accrocheurs et sa voix d'alto se marie parfaitement avec le son des instruments. Outre les percussions précédemment mentionnées, elle joue de son violoncelle soit en pizz soit avec l'archet, ou en frappant la caisse de résonance avec des mailloches. Tout est joué en direct. Contrairement à bon nombre d'artistes du même genre, aucune pédale de sample n'est utilisée.
Musicalement, on n'est pas très éloigné de tUnE-yArDs, en plus sage, ou des débuts de Florence and the Machine, quand cette dernière n'était pas encore une bête de stade mais semblait juste être une harpiste un peu dérangée, qui avait décidé sur un coup de tête de se lancer dans la pop.
Une artiste à suivre en tout cas. Le premier single vient de sortir ou devrait sortir incessamment
21 h. Un piano à queue, un violon, une harpe, un ukulélé, deux hautbois. Les instruments visibles sur scène résument bien l'esprit de l'album qui vient de sortir et de la tournée qui l'accompagne : revisiter en acoustique dix ans de carrière en picorant quelques chansons emblématiques dans un répertoire qui a souvent joué sur les contrastes entre acoustique et électronique, douceur folk et caractère abrupt des beats synthétiques.
Pour certaines chansons, déjà essentiellement acoustiques, cela ne pose guère de problèmes, pour d'autres (Together, Vulture,..) l'exercice est nettement plus ardu, mais souvent réussi. Dans Vulture par exemple, les passages les plus bruitistes sont intelligemment remplacés par des traits de virtuosité au piano, soudain trop-plein sonore qui permet d'en rendre la dynamique. Dans un autre genre, Together (non joué ce soir), dépouillé de sa ligne de basse dansante, révèle un cœur tout palpitant de romantisme. Le seul regret que je pourrais formuler est que, dans cet écrin dépouillé, il est plus difficile d'ignorer certains de ses maniérismes vocaux (les glissandos notamment).
Au cours de la soirée, Patrick alterne entre piano, harpe et ukulélé et est ponctuellement rejoint par un accordéoniste, son stage-manager/hautboïste ou Abi Wade, venue jouer du violoncelle sur deux ou trois titres. Bizarrement, le violon ne quittera pas son support de toute la soirée, quoique sa présence sur scène, au cas où, peut s'expliquer : la setlist change chaque soir, parfois à la demande du public. J'ai ainsi le plaisir d'entendre une de mes chansons préférées, Pumpkin Soup, de circonstance en ce soir d'Halloween et demandée par une de ses fans fidèles du premier rang.
Le parti-pris général de sobriété des arrangements se confirme aussi dans son costume de scène, noir et étonnamment sage, malgré une tête de mort en bois portée en collier (et qu'il finira par lancer dans la foule en prévenant 'It's heavy ! You can't sue me if someone gets hurt !'). La scène est presque vide, éclairée par quelques spots, dont la puissance sera diminuée en cours de concert à sa demande, et par des projections noir et blanc en arrière-plan que ma voisine qualifiera perfidement d'"album de vacances des jeunesses hitlériennes", juste parce que Patrick y gambade à plusieurs reprises torse nu dans les alpages, un pistolet à la main, et qu'on y voit des danses folkloriques qui fleurent bon l'apfelstrudel et les culottes de peau.
Plus que tout cela, cependant, le prix de ce concert pour moi a été de voir sur scène un musicien souriant et apaisé, content d'être là, allant même jusqu'à évoquer les mauvais souvenirs qu'il gardait de ses précédents concerts bruxellois (l'annonce juste avant de monter sur scène de la mort d'une de ses tantes, le bus de tournée cambriolé et les papiers d'identité volés, sa présence incongrue au sein d'une affiche plutôt rock lors de son premier concert au Domino Festival,....) avant de dédier The City au public bruxellois, composant au passant une rime riche destinée à passer à la postérité "We kiss by the Manneken Pis".
Je ne me fais en général guère d'illusions sur le caractère sincère des compliments qu'un artiste lance sur scène à son public mais je dois dire qu'après le concert renfrogné et légèrement hostile de l'année dernière, cette soirée m'a réconcilié avec le personnage. Au cours de sa carrière, le mal-être a sans doute nourri certaines des chansons les plus abouties de son répertoire, mais force est de constater que le bonheur lui sied mieux. Puisse-t-il en être ainsi jusqu'à la prochaine tournée.
Bien que le prix hallucinant du tour EP (cinq titres sur un CD gravé dans une pochette en papier pour 25€ !) m'a fait tiquer (sorry William), il n'a été qu'une ombre passagère sur mon humeur euphorique d'après concert.
Parce que la musique est une chose trop importante pour être laissée à ceux qui la prennent au sérieux.
jeudi, novembre 8
lundi, novembre 5
Patrick Wolf, Ancienne Belgique, 31 octobre 2012 (I)
Voulant préparer la rédaction de ce billet, je me suis rendu compte que je n'avais bizarrement chroniqué aucun de mes concerts de Patrick Wolf par ici. Celui-ci sera donc l'occasion d'un petit bilan rétrospectif.
J'ai découvert Patrick Wolf dans le NME un peu avant la sortie de son premier album, commandé dans la foulée sur Amazon (Amazon, qui se souvient de tout, me rappelle que dans cette commande se trouvaient aussi The Rapture, Mark Owen, Justin Timberlake, Atomizer et Richard X, c'était donc en plein milieu de ma phase de réamour avec la pop).
Immédiatement tombé sous le charme de l'electro-pop de Bloodbeat et de la folk biscornue de Pigeon Song, j'en parle partout autour de moi, me faisant le héraut de la bonne parole lupine sur les forums (Popjustice) et les mailing-listes que je fréquente (la défunte Lenoirliste), allant jusqu'à le "plugger" aux radios que j'écoutais à l'époque (Radio 21 par exemple). Je finirai même par l'interviewer pour la Blogothèque (une expérience dont je garde un souvenir mitigé; ayant négligé la difficulté technique de l'enregistrement de la conversation, la transcription fut très difficile et le résultat écrit décevant).
Je garde de cette période de "militantisme" un fort investissement émotionnel dans la carrière du bonhomme. Contrairement à la plupart des artistes que je suis, j'assiste à un concert de Patrick Wolf pas seulement pour le plaisir de l'entendre chanter ou de le voir titiller la corde avec son archet, mais aussi pour prendre de ses nouvelles. Où se situe-t-il dans sa carrière ? Est-il heureux de jouer ? Aime-t-il encore son "métier" ? Quel est son public ?
De ce point de vue, les enseignements au cours des années furent nombreux et variés. Au début de sa carrière, Patrick Wolf n'aimait guère la scène et cela se sentait. Il était emprunté, mal à l'aise, taiseux. C'était particulièrement le cas lors de son tout premier concert en Belgique, à l'AB Club en 2004 (je me souviens que, une demi-heure avant de jouer, il traînait, l'air mal à l'aise, près du stand merchandising et que sa manager de l'époque, qui tenait le stand, l'encourageait à faire un effort en lui répétant que c'était 'an important gig!') ou lors de son premier passage au Pukkelpop en août 2005.
Pour compenser, il s'était ensuite dissimulé derrière une course à l'extravagance qui se manifestait notamment dans les costumes. Ensuite, lors de son (court) passage sur une major pour le troisième album, son comportement sur scène était devenu proche de l'auto-destruction. Il piquait des colères terribles, balançant des sièges sur ses musiciens, écourtant ses concerts sur un coup de tête, congédiant ses musiciens. Les concerts de cette époque auxquels j'ai assisté m'avaient durablement attristé. Le loup était en berne, la flamme éteinte, l'envie absente. Il semblait n'être sur scène que parce qu'il y était contractuellement obligé, possiblement sous l'emprise de quelque drogue en -ine. L'album, The Magic Position, ayant en outre été pour moi une déception, j'avais à cette époque presque renoncé à le suivre.
Heureusement, il a rapidement quitté son label (ou été viré, les versions divergent) pour financer son album suivant sur Bandcamp, amorçant ainsi une renaissance qui a donné lieu à The Bachelor, un de ses meilleurs albums, coproduit en partie par Alec Empire, et à sa meilleure tournée (le concert d'octobre 2009 au Bota était parfait). Le dernier album était plutôt bon mais le concert de la Rotonde en 2011 était une énorme déception, pour des raisons qui deviendront claires dans le prochain billet. Pendant ces années, j'ai aussi vu son public évoluer, sensiblement rajeunir et se féminiser, jusqu'à devenir à certains moments un public de midinettes, ce que confirment d'ailleurs des forums presque désertés et des pages tumblr hyperactives pleines de gifs kikou-lol-too-cute.
Prendre un ticket pour un concert de Patrick Wolf revient donc souvent à acheter une pochette surprise. On ne sait jamais ce que l'on pourra en fin de compte en retirer, à tel point que j'avais fini par appréhender mes rendez-vous annuels avec Patrick, susceptibles de se révéler, le jour venu, magiques ou désastreux, sans que le public, à chaque fois conquis d'avance, n'y puisse rien changer.
(la suite ici)
J'ai découvert Patrick Wolf dans le NME un peu avant la sortie de son premier album, commandé dans la foulée sur Amazon (Amazon, qui se souvient de tout, me rappelle que dans cette commande se trouvaient aussi The Rapture, Mark Owen, Justin Timberlake, Atomizer et Richard X, c'était donc en plein milieu de ma phase de réamour avec la pop).
Immédiatement tombé sous le charme de l'electro-pop de Bloodbeat et de la folk biscornue de Pigeon Song, j'en parle partout autour de moi, me faisant le héraut de la bonne parole lupine sur les forums (Popjustice) et les mailing-listes que je fréquente (la défunte Lenoirliste), allant jusqu'à le "plugger" aux radios que j'écoutais à l'époque (Radio 21 par exemple). Je finirai même par l'interviewer pour la Blogothèque (une expérience dont je garde un souvenir mitigé; ayant négligé la difficulté technique de l'enregistrement de la conversation, la transcription fut très difficile et le résultat écrit décevant).
Je garde de cette période de "militantisme" un fort investissement émotionnel dans la carrière du bonhomme. Contrairement à la plupart des artistes que je suis, j'assiste à un concert de Patrick Wolf pas seulement pour le plaisir de l'entendre chanter ou de le voir titiller la corde avec son archet, mais aussi pour prendre de ses nouvelles. Où se situe-t-il dans sa carrière ? Est-il heureux de jouer ? Aime-t-il encore son "métier" ? Quel est son public ?
De ce point de vue, les enseignements au cours des années furent nombreux et variés. Au début de sa carrière, Patrick Wolf n'aimait guère la scène et cela se sentait. Il était emprunté, mal à l'aise, taiseux. C'était particulièrement le cas lors de son tout premier concert en Belgique, à l'AB Club en 2004 (je me souviens que, une demi-heure avant de jouer, il traînait, l'air mal à l'aise, près du stand merchandising et que sa manager de l'époque, qui tenait le stand, l'encourageait à faire un effort en lui répétant que c'était 'an important gig!') ou lors de son premier passage au Pukkelpop en août 2005.
Pour compenser, il s'était ensuite dissimulé derrière une course à l'extravagance qui se manifestait notamment dans les costumes. Ensuite, lors de son (court) passage sur une major pour le troisième album, son comportement sur scène était devenu proche de l'auto-destruction. Il piquait des colères terribles, balançant des sièges sur ses musiciens, écourtant ses concerts sur un coup de tête, congédiant ses musiciens. Les concerts de cette époque auxquels j'ai assisté m'avaient durablement attristé. Le loup était en berne, la flamme éteinte, l'envie absente. Il semblait n'être sur scène que parce qu'il y était contractuellement obligé, possiblement sous l'emprise de quelque drogue en -ine. L'album, The Magic Position, ayant en outre été pour moi une déception, j'avais à cette époque presque renoncé à le suivre.
Heureusement, il a rapidement quitté son label (ou été viré, les versions divergent) pour financer son album suivant sur Bandcamp, amorçant ainsi une renaissance qui a donné lieu à The Bachelor, un de ses meilleurs albums, coproduit en partie par Alec Empire, et à sa meilleure tournée (le concert d'octobre 2009 au Bota était parfait). Le dernier album était plutôt bon mais le concert de la Rotonde en 2011 était une énorme déception, pour des raisons qui deviendront claires dans le prochain billet. Pendant ces années, j'ai aussi vu son public évoluer, sensiblement rajeunir et se féminiser, jusqu'à devenir à certains moments un public de midinettes, ce que confirment d'ailleurs des forums presque désertés et des pages tumblr hyperactives pleines de gifs kikou-lol-too-cute.
Prendre un ticket pour un concert de Patrick Wolf revient donc souvent à acheter une pochette surprise. On ne sait jamais ce que l'on pourra en fin de compte en retirer, à tel point que j'avais fini par appréhender mes rendez-vous annuels avec Patrick, susceptibles de se révéler, le jour venu, magiques ou désastreux, sans que le public, à chaque fois conquis d'avance, n'y puisse rien changer.
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