dimanche, août 17

Darkside, Pukkelpop, 16 août 2014


Il fut un temps, pas si lointain, où j'avais le verbe aisé et la plume alerte et où chaque festival donnait lieu à un compte-rendu kilométrique (vous en trouverez encore des traces en utilisant les tags de ce blog).

Aujourd'hui, je préfère utiliser Twitter et poster des photos prises à l'aide de mon téléphone portable, le plus souvent floues pour faire vrai (photos-vérité, sans trucage, le réel à l'état brut), d'autant que réagir en temps réel permet une interaction immédiate avec les autres festivaliers et oblige à faire court, ce qui est rarement un mal, comme le prouvera encore ce billet.

Néanmoins, je renoue avec mes anciennes habitudes pour ce concert de Darkside hier soir à 20h45 au Marquee, qui m'a tellement plu, et désarçonné, que je me sens obligé d'en parler plus longuement.

Une confidence pour commencer : alors que j'écris ces lignes, je ne sais absolument rien de Darkside. C'est un de ces groupes que je suis allé voir simplement parce que j'avais un trou dans mon planning et que la tente était idéalement placée. Je n'avais pas la moindre idée de ce que j'allais voir ou entendre.


Lorsque le concert commence, la scène est plongée dans le noir. Des arpèges de synthé se font entendre, puis quelques notes de guitare qui se développent en une sorte de long solo Knopflérien. Je suis déjà hypnotisé, sans bien savoir pourquoi. Je passerai l'heure de concert à tenter de comprendre.

Commençons l'enquête en décrivant les protagonistes sur scène. A droite, un bellâtre fait face à un synthé et quelques autres machines à manettes, voyants, leviers et/ou boutons. A gauche, un type avec la coiffure de Jean Teulé a une guitare en bandoulière et se tient devant une autre machine à l'allure vaguement synthétisiforme. à laquelle il touchera finalement assez peu.

La musique produite par le duo est difficilement descriptible et, même en cette période de pré-rentrée scolaire, je peine à coller sur elle une jolie étiquette toute faite : empruntant clairement sa trame à la techno, bifurquant par moments vers le post-punk (le bellâtre de droite chante sur certains morceaux, avec une voix qui fait irrésistiblement penser à Alan Vega) ou vers la musique psychédélique, grâce à certains longs solos de guitare.

Un tel mélange de guitares et d'électronique n'a rien de neuf (d'autant qu'en cette époque post-post-moderne, tout se mélange avec tout) mais la disposition scénique, le fait que les musiciens ne sont que deux sur scène et que chacun se cantonne dans son rôle rendent cette juxtaposition extrêmement parlante, presque programmatique. Je n'ai jamais vu un concert aussi ancré dans une opposition conceptuelle, presque un affrontement, entre deux types de musiciens et, partant, de musiques. Pourtant, cet affrontement, visuellement très fort, entre deux styles produit au final une musique extrêmement homogène.

Dans l'ensemble, le set fait plutôt dans la délicatesse et l'ornementation. On est ici  loin de la techno bourrine dont nous ont gratifié certains autres artistes présents à l'affiche du Pukkelpop cette année (Forest Swords, c'est à vous que je pense, j'ai dû partir après cinq minutes, tellement les basses étaient insoutenables). Un beat régulier en infra-basse fait bien parfois ici aussi son apparition, faisant trembler plancher, os, vêtements et bouchons d'oreille, mais presque toujours pour moins longtemps qu'on ne le croit. J'ai même une fois compté le nombre de beats, et ce n'était pas un multiple de huit, c'est dire à quel point on se situe ici dans le domaine de l'expérimentation la plus débridée.

Le bellâtre (je ne vais quand même pas aller chercher son nom sur Wikipedia alors que j'en suis déjà presque à la moitié de mon billet, ça n'en vaut plus la peine) a l'intelligence de se servir de ces sons qui font physiquement entrer le spectateur dans la musique (ou plus exactement entrer la musique dans le spectateur) mais sans en abuser, parce que ces sons ont aussi une fâcheuse tendance à couvrir tout le reste (en tout cas pour moi, parce que cela ne semble guère gêner les gens qui m'entourent).

En effet, le public, très nombreux (et criant son enthousiasme au début de certains morceaux, ce qui tend à prouver l'existence de 'tubes', soit à cause de passages à la radio, de vidéos Youtube ou d'utilisation dans des séries ou films à la mode), dodeline de la tête, marquant souvent la pulsation d'un mouvement d'épaules chaloupé, voire d'un mouvement pseudo-coïtal du bassin (le bellâtre sur scène est par ailleurs également très porté sur les mouvements pseudo-coïtaux du bassin) mais ne s'enflamme véritablement que lorsque la surpuissante pulsation de basse réapparaît, c'est-à-dire justement quand je suis forcé de décrocher parce que je perds le fil de ce que la musique raconte. Ces passages sont clairement conçus comme des sommets, mais des sommets qui me restent inaccessibles parce que la musique cesse pour moi d'exister dès qu'ils sont atteints.

NB : Ceci était le passage Calimero de mon billet... ("Cali-quoi ?" répondront mes plus jeunes lecteurs... "Eh, arrête de croire que tu as de jeunes lecteurs !", diront les autres).

J'ai donc aussi vécu ce concert comme un grand moment de solitude, réagissant à contre-temps, ou à contre-courant, des milliers de personnes qui m'entouraient, tentant d'intellectualiser ce que je ressentais, ce que je croyais ressentir ou, pis encore, ce que je pensais de ce que je ressentais, tandis que tout autour de moi, la foule vivait la musique à un niveau plus basique, réagissant aux stimuli rythmiques, sans avoir l'air de se poser de questions en totale communion avec la musique.

Pourtant, malgré cet étrange sentiment d'aliénation, j'ai passionnément aimé cette heure au Marquee. D'ailleurs, et je termine ce billet comme je l'ai commencé, par une confidence, je le maîtrisais bien aussi, ce mouvement d'épaule (et quelle chaleur dans celui-ci !). Il paraîtrait même que j'ai gentiment tapoté le plancher du talon, bien que les témoignages divergent sur ce point.



Ci-dessous : le set de Darkside au Pitchfork festival à Paris, un set auquel, à moins que vous n'ayez trafiqué votre ordinateur ou votre tablette pour frimer dans des conventions de tuning  il manquera la puissance des pulsations de basse mais qui donne une bonne idée du potentiel de fascination de la musique de Nicolas et Dave (parce que oui, ils s'appellent Nicolas et Dave...... je n'aurais pas dû aller chercher leur nom sur Wikipedia, le "bellâtre" et le "sosie de Jean Teulé" étaient des noms bien plus nimbés de mystère). 


mercredi, mai 21

Dirge, La Zone, Liège, 18 mai 2014

J'ai toujours vécu à Liège et ai assisté, dirais-je, à environ 200 concerts. Pourtant, c'était la première fois ce dimanche que j'allais à la Zone, une des trois ou quatre salles de concert historiques de la ville.

Les raisons en sont multiples. Pour commencer, je suis un adepte des groupes "du milieu", ceux dont la notoriété est déjà en partie acquise mais qui jouent encore dans des salles à taille humaine. En conséquence, mes habitudes me poussent surtout vers des salles bruxelloises comme le Botanique ou l'Ancienne Belgique, qui doivent à elles deux représenter environ les trois quarts des concerts auxquels j'ai assisté.

Ensuite, la Zone se spécialise dans les musiques alternatives, terme vague mais qui me semble assez différent de celui de musiques indépendantes, qui regroupe la majorité des groupes que j'écoute. Cette différence que je fais entre les deux termes n'existe peut-être que pour moi-même, mais si je devais la résumer en quelques mots, je dirais qu'il y a dans ma notion de musiques alternatives un caractère de contestation politique, ou en tout cas de discours sur la société, qui n'existe pas vraiment dans la musique indépendante, terme qui désigne essentiellement un mode de production et de diffusion de la musique différent de celui des majors mais dont la finalité reste au bout du compte de faire connaître les groupes et les artistes au plus grand nombre.

Pendant longtemps, le terme de musiques alternatives a donc surtout désigné pour moi toute la scène punkoïde française liée à Boucherie Productions. Les musiques alternatives sont également indissociables dans mon esprit à une notion de tribu, à des genres et des sous-genres qui vivent en vase clos, se méfiant instinctivement de toute récupération commerciale ou de toute visibilité médiatique excessive (là où trop souvent les groupes indépendants vendent leur âme au diable une fois que le succès commercial arrive).

Vu sous cet angle, la scène métal et tous ses dérivés me semblent bien rentrer dans cette définition des musiques alternatives : labels dédiés, magazines dédiés, émissions radio dédiées, festivals dédiés ou scènes dédiées dans les festivals généralistes (on pourrait d'ailleurs monter un argument selon lequel la scène techno/clubbing est aussi une scène alternative, même si nettement moins intéressante). Le public métal a son look, ses codes, ses icônes, ses lieux de concert (la Zone en fait partie) et il se mélange rarement aux autres. Bien que j'écoute du métal, plus souvent peut-être que les gens qui me connaissent pourraient le croire, je n'ai côtoyé les métalleux qu'à de très rares occasions : un concert d'Opeth au Pukkelpop l'année dernière, un concert de Sunn O))) à l'Ancienne Belgique il y a quelques années et.... je crois que c'est à peu près tout. (Cette rareté est due à ma pusillanimité plus qu'à mon absence de curiosité : par exemple, Mayhem joue ce soir à l'AB. Bien que ce soit un groupe que je serais très curieux de voir en concert, pour me faire une idée, je n'ai jamais songé sérieusement à m'y rendre)

Ce n'est d'ailleurs pas une surprise de constater que, parmi la petite vingtaine de personnes présentes à la Zone ce dimanche, je n'en connais pas une seule, là où la plupart du temps, je retrouve toujours lors de mes concerts liégeois le même public. Ici, le noir était de rigueur, les cheveux étaient longs, les piercings en évidence et si barbe il y avait, ce n'était pas le collier plus ou moins bien taillé du hipster-blogueur trentenaire, mais le long bouc noir jais du métalleux. Que faisais-je là alors, tel un poil dans le bouillon ? La question est légitime et je me la suis d'ailleurs posée. Disons que j'ai été invité par une amie parisienne qui a gentiment suggéré de me faire figurer sur la guest-list. Comme je suis dans l'ensemble un garçon bien élevé (on ne ricane pas là-bas au fond de la salle !), j'ai accepté l'invitation, tout prêt à me confronter à une altérité dépaysante, ne serait-ce que pour le plaisir de pouvoir ensuite analyser cette confrontation et me répandre en exégèses tellement longues qu'elles rebuteront même les lecteurs les plus aguerris.

D'ailleurs, je m'aperçois avec un effroi amusé que, après une pleine page et presque 4000 caractères, je n'ai pas encore écrit le nom du groupe que je suis allé voir : Dirge donc, un quatuor parisien formé au milieu des années 90 et qui, après une évolution apparemment assez sensible, joue actuellement une sorte de post-metal mâtiné d'influences doom et death . Ce sont des genres qui m'intéressent depuis longtemps, et des groupes que je vénère comme Dolorian, Sunn O))), Amplifier et Wardruna par exemple, forment un quadrilatère dont Dirge pourrait bien se trouver au centre. 

Tout cela étant dit, je peux reprendre une narration plus chronologique. Ce dimanche en début de soirée, je partis vers la salle d'un bon pas, animé d'une réelle curiosité. Une fois arrivé, j'ai d'abord inspecté les lieux (une entrée qui ne paye pas de mine sur un quai de la Dérivation, un escalier menant au sous-sol, un plafond très bas, des murs couverts de graffitis, assez réussis), un verre de soda à la main (très bon marché) qui, s'il n'aidait guère à me faire passer pour un habitué me donnait au moins un semblant de contenance. Quelques minutes d'acclimatation et un tour des lieux ont finalement suffi à ce que je me débarrasse de cette sensation étrange de ne pas être à ma place (sensation que je viens par ailleurs d'exorciser a posteriori dans cette digression logorrhéique, qui touche seulement à son terme).

La salle était vide, très vide (moins de dix personnes), et pendant longtemps, j'ai cru que chacune d'entre elles allait à un moment ou à un autre de la soirée monter sur scène. Quelques spectateurs supplémentaires sont arrivés au compte-gouttes tandis que la sono diffuse une sorte de stoner-rock-doom (je hais les étiquettes, je les maltraite donc avec une joie mauvaise), qui m'a beaucoup plu (je ne sais absolument pas ce que c'était). Finalement, lorsque le concert commence, vers 21h20, j'ai compté entre dix et vingt vrais spectateurs, ce qui est très peu et m'a fait un peu honte pour ma ville, dont la réputation festive aurait pu faire espérer que plus de monde se déplace. Je me sens toujours étrangement responsable lorsque des groupes qui viennent de loin, repartent de Liège avec le sentiment que c'est un lieu mort, où les spectateurs ne se déplacent pas/n'écoutent pas la musique/papotent pendant tout le concert/n'y connaissent rien/sont peu sympas/sont impolis/etc.....

Le groupe monte sur scène dans un profond silence et une obscurité quasi-complète. Le bassiste (clône, volontaire sans doute, de Billy Corgan, en moins grand) est entouré de deux guitaristes-chanteurs : à gauche, le grunter/growler, massif, pas très grand, barbu, à droite, le chanteur mélodique, plus grand, plus baraqué, du genre à avoir un abonnement à une salle de sports. Le batteur est caché au fond de la scène, dans une pénombre totale. J'étais à deux mètres de la scène et n'ai à aucun moment vu son visage (en avait-il seulement un ?).

Le terme que j'emploierais pour décrire leur musique serait sans doute doom-metal, c'est-à-dire dans mon esprit des morceaux longs, au tempo relativement lent, peu mélodique au sens strict mais construite sur des changements d'harmonie longuement préparés : de nombreuses mesures où un accord plein de tension est appuyé, répété, asséné avec insistance avant d'être résolu par un accord de tonique qu'on laisse résonner pendant quelques secondes, avant de recommencer le processus (je m'avance peut-être un peu en utilisant le terme de tonique mais c'est un pont qui me semble raisonnable entre ce que je connais de l'harmonie classique et ce que j'ai ressenti lors du concert). 

En ressort une musique hypnotique, où les chansons finissent par s'entremêler, les minutes succédant aux minutes dans une infinie répétition du même (on n'est pas loin du drone), fascinante et enveloppante. Les morceaux durent huit minutes comme ils pourraient en durer quatre ou vingt. Après les deux premiers titres, qui servent en quelque sorte de sas d'entrée, la réalité se met à lentement se dissiper et le spectateur à flotter dans l'éther, sans attaches si ce n'est ce sentiment de résolution harmonique dont l'inexorable retour toutes les vingt ou trente secondes finit par former l'entièreté de l'univers sensible. 

Ce sentiment d'irréalité est entretenu par la pénombre, par le caractère statique des musiciens, par la lenteur de leurs rares mouvements ainsi que par la manière dont les (rares) parties vocales sont sous-mixées, volontairement je suppose (et pas seulement à cause de mes bouchons d'oreille, accessoire évidemment obligatoire pour un concert du genre). Il m'a vraiment fallu tendre l'oreille pour les entendre, ce qui surtout dans le cas du "growler" donne une impression étrange de décalage entre le son et l'image. Hurlement discret sonne comme un oxymore mais ce concept est au cœur de la musique de Dirge (et de beaucoup de groupes du même genre) et j'ai pour la première fois pu apprécier à quel point cela participe à l'effet produit en concert.

Les morceaux vont s'enchaîner pendant un peu plus d'une heure, sans grande interaction avec le public, qui se contentera d'applaudir poliment entre chaque morceau, restant essentiellement statique le reste du temps. Je signalerai juste un spectateur, bourré, sur la droite, qui viendra lors d'un morceau à proximité du guitariste pour faire des moulinets d'encouragement avec le poing, lorsque le jeu se fera plus technique, lors d'un passage vaguement psychédélique (entendez par là un passage où le guitariste se met à jouer des traits plus rapides, rappelant la musique répétitive ou indienne, mais toujours en arrière-plan sonore pour ne pas déforcer l'effet harmonique décrit ci-dessus).

Dans cette torpeur et cette immobilité ambiante, ma gestuelle d'auditeur de doom-metal fait de moi l'une des personnes les plus actives de l'assistance. En quoi consiste cette gestuelle ? Disons qu'un talon marque les coups de batterie les plus importants, surtout ceux où la tension se résout (pas toujours le même talon d'ailleurs, parfois un début de crampe me fait changer de jambe), le haut du corps se balance lentement, comme soumis au clapotis d'une marée sonore, du flux et du reflux d'une musique qui serait la respiration d'une énorme bête endormie. La tête suit toujours les mouvements du corps avec un léger retard, comme à regret. Tous les gestes sont lents, circulaires, sans variations brusques de direction, calculés pour pouvoir s'enchaîner indéfiniment. Les yeux sont la plupart du temps fermés

Après une heure, c'est presque une surprise lorsque trois des quatre membres du groupe quittent la scène sans dire un mot, laissant leurs amplis réverbérer les dernières notes et le guitariste/growler mettre un touche finale au morceau. Lorsque ce dernier part à son tour, les lumières se rallument. Le concert est terminé, me laissant avec le sentiment étrange de me réveiller d'un long rêve. 

jeudi, mai 8

Nits, AB Club, 6 mai 2014

J'ai déjà beaucoup écrit sur les Nits, et notamment sur les concerts auxquels j'ai assisté (une petite dizaine, même si je me rends compte avec surprise que seulement deux d'entre eux ont été chroniqués sur ce blog).

Il est donc inutile que je revienne sur la bonne humeur communicative du trio, sur leur évidente complicité sur scène, sur le jeu poétique et souple de Rob Kloet aux percussions, sur la mine concentrée de Robert Jan Stips aux claviers ou sur la bonhomie rigolarde de Henk Hofstede. Tout cela participe grandement au plaisir que je prends à tous leurs concerts mais je doute d'être capable de le réexprimer d'une manière qui ne soit pas un simple décalque de ce que j'ai déjà pu écrire auparavant à leur sujet.


Il me semble plus intéressant de m'appesantir sur ce qui fait la particularité de cette tournée et de ce concert bruxellois (outre la petite taille de la salle) : il est entièrement consacré aux dix premières années de l'existence du groupe et à leurs cinq premiers albums  (Tent, New Flat, Work, Omsk et Adieu Sweet Bahnhof). Pour accentuer ce côté rétrospectif, l'ordre des chansons sur la set-list, en dehors des rappels, est entièrement chronologique. La partie la plus connue de leur discographie se retrouve ainsi escamotée. A part Nescio et Adieu Sweet Bahnhof, ce concert ne contenait aucune des chansons emblématiques des tournées récentes du groupe (pas de In the Dutch Mountains, de Bike In Head, de JOS Days ou de Cars & Cars par exemple).



Or, il se fait que je connais finalement assez mal le début de leur carrière. Je n'ai découvert les albums à leur sortie qu'à partir de Giant Normal Dwarf au début des années 90, et ma remontée dans le temps s'est surtout concentrée sur les albums les plus proches, ceux où je retrouvais l'évidence pop, la poésie des arrangements et des instrumentations qui faisaient le prix de cet album ou du suivant, Ting. C'est ainsi que je connais presque par cœur des albums comme Adieu Sweet Bahnhof ou Omsk, mais beaucoup moins bien les trois premiers.

A cette époque, le groupe suivait un canevas post-punk/new-wave assez classique (guitare, basse, claviers, batterie), avec des chansons de trois minutes environ, un son brut, assez peu travaillé, la recherche dans les compositions d'une forme d'efficacité immédiate qui ne dédaigne pas une pointe de sophistication arty, mais sans effets de manche ou mise en avant de la compétence des musiciens (à cette époque, la technique instrumentale était encore honnie, souvenir nauséabond des pires heures du prog-rock). Leur son de cette époque m'évoque personnellement des groupes comme Devo ou Gang of Four, voire les Talking Heads ou les premiers albums solo de Brian Eno (les influences glam en moins).


Cette description pourrait (devrait même, sans doute) donner envie, mais je dois avouer que Tent, leur premier album de 1979, que j'écoute en tapant ceci, me laisse toujours étrangement froid. J'y regrette le simplisme des mélodies, l'absence d'envolées poétiques ou de trouvailles rythmiques (Rob est encore assez basique dans sa manière de jouer, plus batteur que percussionniste). C'est très (trop ?) carré et je n'y retrouve pas vraiment ce que j'aime chez les Nits. 

Ce n'est donc qu'aux environs du dixième morceau (avec Slip of The Tongue), lorsque la set-list a atteint le milieu des années 80, que j'ai retrouvé mes marques et pu identifier des chanson à leur intro. Pendant la demi-heure qui a précédé, j'ai eu l'impression d'entendre un groupe dont je ne savais pas grand chose. Seuls quelques lambeaux de mélodies éparses évoquaient en moi de vagues souvenirs, le plus souvent insituables.

Dans ces conditions, le miracle de ce concert fut sans doute que ces chansons des débuts, qui m'avaient jusque là résisté (et me résistent encore dans leurs versions studio), se sont imposées à moi avec évidence une fois interprétées avec l'énergie du live. Les rythmes abrupts de Ping Pong, les velléités psychédéliques de Empty Room, l'atmosphère entêtante de Hook Of Holland ont soudain fait sens. On peut à ce propos sans doute saluer le côté bon camarade de Robert Jan Stips qui participe à une tournée où il interprète pour moitié des chansons qui datent d'avant son arrivée dans le groupe.

Je sens bien que je ne parviens pas tout à fait à exprimer les raisons pour lesquelles ce concert m'est apparu comme une révélation. Attendez-vous à des modifications de ce billet une fois que les mots me seront venus. En attendant cette hypothétique inspiration, je vous propose ci-dessous quelques vidéos tirées d'un concert récent de la même tournée. Quelques secondes suffiront à faire comprendre aux habitués à quel point cette tournée est différente des autres : une scène plus resserrée, moins de discussions avec le public et de digressions, des morceaux plus courts. Tout, jusque dans l'attitude des musiciens sur scène, indique une inspiration, un état d'esprit et des points de référence différents. Je n'avais jamais vu Henk comme ça, arqué sur sa guitare électrique, concentré sur son jeu, presque tendu par moments.

Pendant cette première demi-heure, j'ai donc eu l'impression étrange de découvrir un autre groupe. Ce n'était clairement pas les Nits que je connaissais, ou que je croyais connaître, mais un groupe obscur du début des années 80, qui serait venu, par on ne sait quel stratagème temporel, jouer en 2014 sa tournée de 1981, à l'identique.

Ce concert m'a ainsi fait prendre conscience que, derrière les chansons plus tardives du groupe se dissimulait en palimpseste une source d'énergie basique, anguleuse et inquiétante, que je ne soupçonnais pas et qui irradie les premières années de leur carrière. Cette découverte est évidemment bienvenue. Elle apporte une nouvelle dimension à mon appréciation du groupe. Il me revient à présent de chercher à retrouver la trace de cette énergie primitive lorsque j'écoute les premiers albums. Je ne garantis pas que je vais y parvenir, mais je ne ménagerai pas mes efforts. Le deuxième meilleur groupe du monde ne mérite pas moins.


















En attendant, je remercie mes bataves préférés pour ces deux petites heures de bonheur. Je les reverrai en décembre, dans la même salle, pour une tournée plus classique. Je saurai alors si mes efforts ont porté leurs fruits et si Tent, New Flat et Work se sont taillé une place plus grande dans mon cœur. Dans le cas contraire, cela signifiera que je le souvenir de ce concert, et de l'énergie qui s'en dégageait, s'est estompé et je ne pourrai m'en prendre qu'à moi-même.




vendredi, février 21

Liste de podcasts et émissions de radio

Il est apparent depuis au moins deux ans (et sans doute beaucoup plus pour les hipsters) que l'âge d'or du blog musical est passé. J'ai l'impression que les gens sont de moins en moins disposés à lire sur la musique, et même l'ajout en-dessous du billet d'un lien vers une playlist Spotify, une vidéo Youtube ou une chanson sur Soundcloud paraît pour ce que j'en vois tout à fait insuffisant. En ce qui me concerne en tout cas, je ne les fréquente quasiment plus (j'ai même abandonné mon bien-aimé Music For Robots, qui m'a fait découvrir tant de choses... j'ai honte, mais le téléchargement de mp3, c'est tellement 2005).

En revanche, je me suis mis à écouter des podcasts (je rappelle aux distraits que j'en ai même enregistré deux, voir colonne de droite ou ici), retrouvant via Internet le plaisir d'écouter la radio, plaisir dont j'étais privé (au moins depuis que Pure FM est devenue inécoutable). Notez bien que dans mon esprit, émission radio n'est pas synonyme de mix. J'ai besoin d'un fil rouge, d'une voix qui m'emmène à la découverte des musiques que je ne connais pas. Je veux des morceaux présentés, annoncés et "désannoncés". La présentation pour situer le genre, l'atmosphère, créer l'envie, la "désannonce" pour me permettre de noter le nom du groupe et de l'album. Ce que je recherche je suppose, c'est retrouver le plaisir des émissions personnelles, où animateur et programmateur se confondaient, comme celles de Tyan sur Radio 21, Bernard Lenoir sur France Inter ou, bien sûr, John Peel sur BBC Radio One. Par contraste, un mix continu m'ennuie en général après 10 minutes.

Suit donc une liste éminemment subjective des podcast et des émissions de radio que je ne raterais pour rien au monde. N'hésitez pas à me laisser en commentaire ou via un média social quelconque vos propres suggestions. Il me reste l'une ou l'autre plage horaire ouverte pour en découvrir d'autres.

En français : 
  • Substances (48FM, Liège, Belgique) : deux heures par semaine, Laurent propose un tour d'horizon des nouveautés de la semaine, voire parfois, quand il a du retard dans ses écoutes, des deux mois précédents. Beaucoup de lo-fi, de folk, de rock, avec un sens de l'improvisation que n'aurait pas renié John Peel.
  • Diagonales (Radio Rectangle, Belgique) : dans la lignée du précédent et animée par un membre de Showstar (groupe dont j'avoue ne rien savoir, oups!), une demi-heure par semaine, ce qui est plus raisonnable.
  • Autour de Babel (RTBF Musiq 3, Belgique) : deux heures par semaine, un mix entre classique, électro, musique contemporaine et folk. Chaque émission est conçue par un programmateur différent. Certaines semaines sont donc plus passionnantes que d'autres, et contrairement à ce que je dis plus haut, il s'agit d'un mix continu, dont la playlist est disponible sur le site.
  • L'inspecteur des Riffs (48FM, Radio Rectangle, Liège, Belgique) : deux heures par mois, un tour d'horizon thématique essentiellement centré autour du jazz et du rock, avec le toujours formidable Stéphane Dupont (les émissions plus récentes sont accessibles via Radio Rectangle)

En anglais : 
  • Stuart Maconie's Freak zone (BBC6Music, UK) : L'ancien journaliste du NME et pilier de Radio 1 nous emmène ici dans les recoins les plus bizarroïdes de la musique actuelle : entre néo-prog, folk, électro et metal. J'y découvre en moyenne trois albums par semaine. Ca en devient presque fatiguant.
  • Plus généralement, si vous n'avez rien à vous mettre entre les oreilles, écouter le live stream de BBC6 Music est rarement une mauvaise idée (Guy Garvey, Steve Lamacq, Lauren Laverne, Huey Morgan, Terry Hall et Tom Robinson, entre autres, y ont leur émission).

dimanche, janvier 26

Depeche Mode, Sportpaleis, Antwerpen, 25 janvier 2014

A priori, Depeche Mode, c'est tout à fait ma came, un groupe des années 80, anglais jusqu'au bout des ongles, qui trouve ses origines dans la révolution synth-pop, qui elle-même plonge ses racines dans la mouvance post-punk. Dans un premier temps, on aurait pu les placer dans le même panier que Duran Duran ou Soft Cell, même en ce qui concerne ces derniers pour l'imagerie quelque peu sulfureuse. Les albums sont d'un intérêt limité, mais les singles sont régulièrement imparables, surtout à partir de Some Great Reward.

Puis vers 1985, une sorte de miracle se produit, avec Black Celebration, le groupe change de catégorie. Il s'extirpe de la superficialité de la pop de cette époque (Soft Cell excepté, comme quoi mes associations d'idées ne tiennent vraiment pas la route), les ambiances s'assombrissent, aidées en cela par la belle voix grave de Dave Gahan et les chansons se complexifient. Comme pour l’œuf et la poule, je ne sais pas si le succès américain de DM a précédé et influencé ce changement ou s'il en est la conséquence. Toujours est-il que, une fois Music for the Masses sorti, DM était devenu un groupe de rock taillé pour les stades, notamment américains. 101 le prouve amplement.

Le groupe poursuit sur la même lancée avec Violator et Songs of Faith and Devotion, deux albums splendides qui mêlent avec bonheur l'intensité du rock et les sons électroniques, exercice d'équilibriste qu'ils sont quasiment les seuls à réussir. Mon intérêt s'étiole ensuite progressivement avec Ultra et Exciter, deux albums que je n'ai pas aimés à leur sortie et rarement réécoutés depuis. Depuis cette époque, Depeche Mode est un groupe qui me semblait faire un peu partie de mon passé. Les deux albums qui ont suivi me semblaient un peu meilleurs, mais une fois mon avis établi, je les réécoutais rarement, alors que je repassais encore régulièrement Violator, Black Celebration ou Songs of Faith and Devotion.

Ce petit historique explique le fait que je ne les avais jamais vus en concert, malgré tout l'intérêt que j'ai par ailleurs pour le travail visuel d'Anton Corbijn. Lorsque j'ai commencé à aller voir des concerts, vers le milieu des années 90, mon intérêt pour leur musique avait décru, d'autant qu'à cette époque, ils ne jouaient plus que dans des stades et que, à quelques rares exceptions près, j'ai beaucoup de mal à apprécier un concert dans une salle plus grande que l'Ancienne Belgique (c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je ne verrai sans doute jamais plus en live des groupes que j'ai beaucoup aimés et aime toujours beaucoup, comme Elbow, Sigur Ros ou Radiohead.)

Cela étant dit, le concert d'hier était proche, durant un week-end et le premier single de l'album était prometteur, je n'ai donc pas pu dire non à un couple d'amis qui me proposait de les accompagner, malgré le prix (c'est de loin le concert le plus onéreux auquel j'ai assisté).

Je ne dirai pas grand-chose sur la première partie, Feathers, un quatuor de texanes qui joue une musique assez proche de ce que peuvent faire Grimes ou Client, avec des réminiscences de Goldfrapp ou La Roux, de la synth-pop gentiment éthérée, sans génie en studio, et tout à fait dispensable en live, notamment à cause d'un son qui transformait toutes les chansons en bouillie sonore sur laquelle il était difficile de rester concentré.... Ah si, une chose tout de même, c'était un quatuor de filles (le batteur ne compte pas, les batteurs ne comptent jamais), collées l'une à l'autre au milieu d'une grande scène toute vide. L'attrait du jeu de mots 'The birds of Feathers flock together' est donc irrésistible et je n'y résiste pas. Cela étant écrit, intéressons-nous au vif du sujet du jour : Depeche Mode.



Je pense qu'il est juste de dire que c'est la première fois que je vois un concert de rock de stade. Même si l'instrument de base du groupe reste le synthé, Depeche Mode est un groupe de rock, dans son attitude sur scène, dans la manière dont les concerts sont conçus, dans la dévotion qu'ils inspirent, etc... On ne trouve rien ici de la distance ironique de la pop. Tout est pensé au premier degré et cela a sans doute fini par me peser.

Les artistes que je préfère en concert ont tous une relation assez ambiguë avec le concept de performance live, et jouent volontiers avec les codes du genre. Les Pet Shop Boys transforment leurs concerts en happenings arty où la notion même de jeu live devient une sorte de blague entre initiés, Pierre Lapointe transforme ses spectacles en one-man-shows, les Nits jouent sur leur connivence pour donner à leurs concerts un caractère intimiste et poétique, Elbow (du temps où je pouvais encore les voir) jouait du désespoir et de la mélancolie avec une rare subtilité, tout en retenue et en délicatesse, demandant par exemple sans cesse au public de se taire et d'écouter. Aucun d'entre eux ne harangue la foule ou ne prend des poses de rock-stars pour recevoir l'adoration de leurs multitudes de fans.

Neil Tennant, ancien journaliste musical, a toujours eu un regard assez lucide et acéré sur le monde de la musique populaire, regard qui devrait même plaire à ceux qui détestent sa voix ou sa musique. Un jour, lors d'une interview, il a expliqué que c'était le fait de vendre du sexe (selling sex) qui permet à des artistes rock ou pop de devenir méga-populaires et/ou de le rester sur la durée. Or, de nos jours, un énorme succès qui dure doit forcément passer par de longues tournées, de loin la partie du métier de music-star qui rapporte le plus. Cette remarque de Neil Tennant s'applique donc à tout qui remplit des stades depuis 10 ans et, des Rolling Stones aux Killers, de Muse à One Direction et de Madonna à Justin Timberlake, il est difficile de lui donner tort.

Le moins que l'on puisse dire est que Dave Gahan l'a bien compris. A cinquante ans passés, le visage ravagé par les excès en tous genres, il continue à se déhancher comme un animal en rut à la moindre occasion, et le moindre centimètre carré de peau exposé provoque l'extase d'un public conquis d'avance. J'ai trouvé cela gentiment ridicule (le manque d'habitude peut-être), tout en devant reconnaître qu'un échantillon a priori représentatif de 15000 fans me mettait clairement dans la minorité. Par ailleurs, et je ne sais si c'est pour faire sexy ou pour faire rock-star, il n'arrêtait pas de cracher, souvent de telle manière que tout lui retombait sur la figure. Pour être honnête, je crois que c'est l'aspect du concert qui m'a le plus intrigué (chacun a les questionnements qu'il mérite).

Cette avalanche de clichés est d'autant plus triste que, musicalement, Depeche Mode reste un groupe dans lequel je me reconnais totalement, jusqu'au dernier album, Delta Machine, qui est une grande réussite. J'ai particulièrement aimé les deux intermèdes chantés par Martin L. Gore, dont l'attitude sur scène, la sensibilité et la délicatesse conviennent mieux à mon besoin de distance et de retenue. J'ai aussi été très amusé par la prestation d'Andrew Fletcher (Fletch), le membre du trio dont le rôle a toujours été peu clair pour le non-initié et qui, durant toute la soirée, n'a semblé jouer que deux ou trois fois sur son synthé, se lançant parfois dans quelques pas de dad-dancing qui m'ont fait sourire et se contentant le reste du temps de se dandiner de manière un peu empotée et de lever les mains en l'air sans raison apparente. Peut-être finalement sont-elles là, l'ironie et la distance que je recherchais, dans le fait que Fletch est encore sur scène, toujours montré à égalité avec les deux autres dans les incrustations sur écran géant alors qu'il ne ressemble plus à rien, n'a aucun rythme et ne semble pas faire grand chose. C'est en tout cas l'aspect du concert qui me les rend le plus sympathiques (la grammaire de cette phrase me torture, le plus/les plus... un avis ?).

A côté de ses deux comparses, Gahan est une bête fauve prête à tout pour faire exploser son taux d'adrénaline. C'est impressionnant à voir, et une partie de moi-même admire qu'il soit encore capable de jouer ce rôle à son âge, au premier degré, mais je dois dire que cela m'intéresse finalement assez peu. Je crois que dorénavant, j'apprécierai Depeche Mode en studio. J'y trouverai plus mon compte. Peut-être suis-je trop snob, ou trop vieux, pour les grands-messes fédératrices et les concerts de stade.

Meilleur moment du concert :

Pire moment du concert :
à égalité avec (je ne sais pas pourquoi il s'entête à la jouer, le groupe qu'ils sont en 2014 n'a plus rien en commun avec cette chanson) :



Sinon, pour les fans de Depeche Mode francophones, voici le (relativement nouveau) site de référence à consulter.

On y trouve notamment la setlist complète du concert d'hier.