Arcade Fire - Funeral (Rough Trade)
Depuis que je m'intéresse à la musique, je n'ai jamais assisté à un délire collectif aussi irrationnel que celui qui a entouré la sortie de cet album. L'existence d'une "conscience musicale" mondialisée sur Internet (dont le gourou serait Pitchfork) me semble avoir ici montré son premier effet pervers en créant une spirale d'entraînement mutuel et de surenchère qui a mené à des propos à ce point excessifs qu'ils en devenaient grotesques. Pendant plus d'un an, on ne pouvait pas cliquer sur un lien ou parcourir la page de garde d'un webzine musical sans tomber sur des "Merci Arcade Fire d'être le meilleur groupe de tous les temps." ou des "Funeral est le meilleur disque de l'univers. Il a changé ma vie et, à chaque fois que je l'écoute, je pleure." J'ai fini par prendre le parti d'en rire mais je mentirais en disant que mon incompréhension face à cette unanimité n'a pas influé sur mon appréciation du disque. L'enthousiasme factice et la spontanéité réglée au millimètre de leur prestation au Pukkelpop il y a quelques mois n'a évidemment rien arrangé. En conséquence, j'ai beaucoup de mal à exprimer aujourd'hui ce que je pense exactement du disque, en le dissociant de son existence médiatique. Je m'y risque cependant.
Je reconnais volontiers que c'est plutôt un bon disque dans son genre et qu'il est difficile de l'écouter sans être au moins partiellement happé par le maelström des émotions qui y sont tapies (de l'euphorie à la tristesse, de l'apathie à la surexcitation). Pour exprimer cette diversité, le groupe a souvent recours à une construction en crescendo, qui le pousse malheureusement souvent à entasser les couches sonores et les instruments en fin de chanson pour accentuer les contrastes. C'est d'ailleurs un des principaux reproches que je ferais à la plupart des groupes à la mode cette année (de Sufjan Stevens à Antony and the Johnsons en passant par Arcade Fire) : une tendance à en faire trop, à vouloir à tout prix faire la preuve de leur ambition musicale en multipliant les instruments, sans toujours avoir les moyens d'intégrer ces multiples couches sonores dans un tout harmonieux. Lorsque j'écoute Funeral et que cette sensation de trop-plein devient trop forte, je me mets à rêver de ce que donneraient ces chansons dans des versions plus dépouillées ou en tout cas un peu moins lourdingues. Vu l'enthousiasme général suscité par Funeral, j'ai peur qu'ils n'aillent au contraire encore plus loin dans la surcharge à l'avenir. Dommage car quand ils se passent de cette construction en crescendo (comme sur Power Out) et osent la simplicité (le très nitséen Haïti), ils sont vraiment attachants (c'est aussi vrai pour l'album de Sufjan Stevens, dont je ne parlerai plus ici).
Jay-Jay Johanson - Rush (Virgin/EMI)
Durant quelques mois de l'année 2002, un nouveau courant musical avait envahi le petit monde de la musique rock. Tout le monde semblait se découvrir fan de Gigolo Records, de Fischerspooner et des synthés vintage. Puis, aussi soudainement qu'elle était née, la mode a passé. On continue pourtant à en percevoir des traces dans la starisation de Stuart Price ou dans les carrières de Goldfrapp et Jay-Jay Johanson. Tous deux s'étaient en effet à l'époque frottés à cette mode électroclash, genre auquel leurs premiers albums de trip-hop-lounge-jazz-pop ne semblaient pourtant guère les prédestiner. Ce choix de prendre le train en marche avait fait de Goldfrapp des stars (Black Cherry fut un immense succès, au moins en Angleterre) tandis que Jay-Jay Johanson y perdait beaucoup de sa crédibilité (dans mon souvenir, Antenna a été très mal reçu en France). Dans ce nouvel album, JJJ présente a posteriori le chaînon manquant entre ses premiers albums et Antenna. Il y marie la voix de crooner nordique qui faisait le prix de ses premiers albums avec une forme d'électro-pop efficace (The Last of The Boys To Know pourrait être une chanson de Kylie Minogue) qui flirte parfois avec le soft-rock FM (Another Night, Another Love évoque Phoenix et Rush le 10cc de I'm Not In Love). En ressort un disque parfaitement maîtrisé, sans réelles fautes de goût, attachant sur le moment même mais que son manque de surprises prive rapidement de mystère.
Wolf Parade - Apologies to the Queen Mary (Sub Pop)
Les similitudes entre Wolf Parade et Arcade Fire sont évidentes. Les deux groupes gravitent dans les mêmes milieux de Montreal, leurs musiques sont assez proches et ils ont tous deux construit leur succès grâce à Internet, quoique à des échelles très différentes. Il m'est donc difficile de ne pas comparer l'un à l'autre. La musique de Wolf Parade est un peu plus brute et se pique moins de sophistication (les cordes et l'accordéon laissent ici la place à quelques touches de synthés Grandaddy-esques). En conséquence, si cet album ne parvient pas forcément à égaler les meilleurs moments de Funeral (il n'y a pas ici de Power Out), il en évite la plupart des travers, ce qui le rend à mon avis plutôt meilleur. En cherchant à argumenter mes impressions, j'ai remarqué que Wolf Parade a enregistré la majorité de son album avec l'aide d'un producteur (Isaac Brock, de Modest Mouse) alors que Arcade Fire, Sufjan Stevens et Antony ne l'ont pas fait. Serait-ce la clé du problème ? Les figures emblématiques de cette nouvelle fague de folk-rock épique (le nom que je leur donne en attendant que la machine médiatique en ponde un meilleur) auraient-elles besoin d'un regard extérieur pour ne pas se laisser entraîner par leurs rêves de grandeur et leurs pulsions symphoniques ? Peut-être. En attendant, une chanson comme Dear Sons And Daughters Of Hungry Ghosts par exemple me semble avoir trouvé un bon équilibre entre ambition et accessibilité, légèreté et sophistication. En fait, le seul véritable problème de cet album est que l'un des deux chanteurs (Dan Boeckner) a exactement la même voix que Kelly Jones, le nain de jardin braillard des Stereophonics, et ça, c'est quand même pas de bol.
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