(suite de ce billet)
La soirée du vendredi commence avec le concert de Fischerspooner. Il y a deux ans (il faut se rendre à l'évidence, l'affiche de cette année est une copie conforme de celle de 2003), Fischerspooner nous avait gratifié d'un show en play-back complet avec changement de costumes, chorégraphie et une bonne dose de ridicule assumé. C'était arty en diable, somme toute assez grotesque et en conséquence assez jouissif. Cette année, le groupe a sorti Odyssey, un album de vraies chansons (c'est pas moi qui le dis, c'est la critique, qui semble bizarrement persuadée que #1 n'en contenait aucune) et se présente donc sur scène comme un vrai groupe de musiciens (chanteur, guitariste, claviériste, batteur, bassiste et choriste), et non plus comme une bande de poseurs prétentieux. En conséquence, Casey Spooner chante en direct, sur une scène sans décors et avec très peu de changements de costumes. On sent confusément que ce dépouillement lui pèse (même s'il est objectivement tout relatif, pour n'importe quel autre groupe, un costume composé d'une longue cape, d'un costume militaire rouge et or d'apparat, d'un boa et d'un chapeau à plumes paraîtrait plus extravagant que discret). Il tente donc de la faire oublier en jouant à outrance avec les clichés de la pop-star, ce qui fait que j'ai eu la curieuse impression d'assister à un concert du Duran Duran de la grande époque. Casey est parfait en Simon Le Bon tête à claques (dont il reproduit les poses et les mimiques) et ses musiciens font des Taylor et Rhodes tout à fait crédibles. Le tout forme un spectacle indéniablement divertissant, même si les chansons du groupe sont en général d'un intérêt limité. Emerge flotte tellement au-dessus du reste de leur répertoire qu'ils feront mine de la commencer deux fois avant de la jouer pour de bon et, parmi les autres, seules The 15th et We need a war provoquèrent véritablement l'enthousiasme du public, enthousiasme qui m'a d'ailleurs un peu surpris. Peut-être finalement Fischerspooner a-t-il encore un avenir.
Dans la famille "Je porte des costumes extravagants", je demande le cousin goth qui préférait arracher les ailes des mouches plutôt que d'aller souhaiter un bon anniversaire à sa cousine Christina. Marilyn Manson est sur la grande scène. J'ai plutôt un a priori favorable sur Marilyn Manson. Sociologiquement, visuellement et même musicalement, je le trouve plus intéressant que toute la cohorte nu-metal apparue à la même époque (à l'exception des mes bons gars Mike et Chester évidemment). Pourtant, ce concert fut en tous points pénible. D'où je me trouvais (très loin, il faut bien le reconnaître), je n'ai rien trouvé à quoi m'accrocher. Je ne reconnaissais aucun morceau, d'abord parce qu'il a privilégié ses deux derniers albums, dont je ne sais rien, et ensuite parce qu'il semble naïvement croire qu'en live, tout ce qu'on attend de lui est qu'il hurle comme un possédé par-dessus un mur de guitares saturées... alors que pas du tout, j'aurais préféré qu'il nous montre l'étendue de son répertoire (j'aurais par exemple adoré entendre The speed of pain dans une version proche de l'album par exemple). Las, au bout du cinquième titre, nous en avions entendu plus qu'assez et sommes partis nous placer pour voir la hype du millénaire, j'ai nommé les cultissimes Arcade Fire.
Qu'écrire, qu'écrire ? Depuis un an que les rouleaux compresseurs du bon goût (des Inrocks au NME et de la Blogothèque à Pitchfork... toutes sources d'informations par ailleurs tout à fait estimables, là n'est pas la question) nous imposent de voir en Funeral la huitième merveille du monde, Arcade Fire est un groupe dont j'adore dire du mal et, à voir les gens autour de moi se comporter durant le concert comme si Dieu leur était apparu dans un halo de lumière dorée, j'ai peaufiné quelques phrases assassines dont je comptais bien me resservir ici (un exemple ? "Arcade Fire est aux 'Houhouhou' ce que les Kaiser Chiefs sont aux 'Nanana' : des grossistes de seconde main."). Pourtant, il serait un peu facile de mettre l'enthousiasme débordant que le groupe suscite un peu partout sur le compte d'une hallucination collective auto-alimentée par des médias effrayés à l'idée de passer à côté de 'the next big thing'. D'autant que, franchement, c'est pas si mal, Arcade Fire. L'album souffre certes d'une production lourdingue sur certains morceaux et le chanteur a une des voix les plus exaspérantes depuis Anastacia mais, dans l'ensemble, c'est un bon petit disque sympathique, qui mêle avec un certain bonheur euphorie et tristesse, rythmes endiablés et sujets graves, rock et folk. Il méritera certainement une place dans le top 20 de fin d'année. En concert, c'est même encore un peu mieux : le groupe fait corps avec sa musique et parvient sans problèmes à mettre dans sa poche un public qui, pour être honnête, ne demande que ça. Pourtant, j'ai avec leur set le même problème qu'avec celui de The Polyphonic Spree : je ne crois pas une seconde à la sincérité de leur comportement sur scène. Sur un des morceaux (ne me demandez pas lequel, ils se ressemblent tous.. il y avait des 'houhouhou' en tout cas), un des musiciens était préposé aux percussions et, tout gonflé de l'importance de sa mission, a grimpé aux échafaudages jouxtant la scène, cymbale en main (pied compris, ce qui est, je suppose, une sorte d'exploit sportif), a fait le pitre pendant quelques minutes dans les hauteurs, tapant sa cymbale sur tout ce qui lui tombait sous la main, en équilibre instable, le visage rougeaud d'excitation. Il est ensuite redescendu sur scène où il a entrepris d'étrangler un autre musicien avec la lanière de sa guitare tout en jouant (ah oui, il jouait de la guitare aussi, c'est que, voyez-vous, ce sont des musiciens complets et il faut que ça se voie), sans doute parce que, à ce moment du concert, il était tellement dans sa musique qu'il en était comme possédé par le démon du rythme, de la danse, du rock, de la mort (biffez les mentions inutiles). Cela fait peut-être de moi un être froid, ennuyeux, cynique, pisse-froid, terre-à-terre (biffez les mentions inutiles) mais je suis rigoureusement incapable de rentrer dans ce genre de 'trip' et n'y vois qu'un positionnement marketing soigneusement pensé. Du coup, je me cabre et décide d'en rire et, à mon grand désespoir, j'avais l'impression d'être le seul dans un rayon de 100 mètres à ressentir le besoin de faire appel à mon sens de l'humour durant cette heure de concert. Dommage. J'ai toujours eu du mal avec les gens qui se prennent au sérieux. Cela dit, comme je suis plein de bonne volonté, j'accepterai peut-être de reconnaître qu'il s'agissait (musicalement parlant) d'un des dix meilleurs concerts du festival quand le souvenir des yeux hébétés de béatitude de mes voisins se sera estompé. Là, pour l'instant, ça me ferait trop mal.
Au risque de continuer à me fâcher avec tout le monde, je dois à présent dire un mot du concert des Pixies. Le groupe n'a jamais vraiment fait partie de mon univers musical et je n'ai à vrai dire jamais ressenti le besoin d'y remédier (j'étais bien trop occupé à découvrir tout le reste du catalogue 4AD). Le début du concert semblait prometteur, un son parfait où chaque instrument se détache avec la netteté d'une incision au scalpel, des tubes à foison (Monkey gone to heaven,... ce genre de choses) mais, très vite, ces morceaux reconnaissables me semblent laisser la place à un festival de cris et de grognements dont je ne parviens plus à rien retirer. Sans doute que, pour les fans, il s'agit d'interprétations électrisantes de je ne sais quel morceau-culte de Trompe le monde, mais pour le béotien que je suis, c'est surtout beaucoup de bruit et, comme vous avez sans doute pu vous en rendre compte, mon seuil de tolérance pour le bruit sur la grande scène est quasi-nul (je suis beaucoup plus ouvert pour les scènes annexes, où je peux ressentir un minimum d'empathie avec les musiciens). Je suis donc parti me placer pour le prochain concert. Cela dit, cette ignorance n'a que trop duré. Je m'en vais dans les prochains jours écouter avec attention le best-of, Doolittle et Bossa Nova (je sens confusément que ça devrait m'intéresser), histoire de pouvoir raconter moins de bêtises la prochaine fois que je croiserai leur chemin en festival, mais pour ce qui est du concert de cette année, je dois bien avouer que ça m'est un peu passé par-dessus la tête.
La soirée se termine par le concert de TTC, pourtant initialement prévu en début d'après-midi. La présence d'un groupe francophone au Pukkelpop est, à vrai dire, un événement rare. La langue française est en général assez mal vue dans les festivals flamands. Ainsi, certains groupes anglo-saxons se sont, à une époque, fait huer pour avoir oser dire "Merci" et "Bonjour" sur scène. En conséquence, le fait d'entendre parler français était un retour aux sources bienvenu même si je dois bien avouer que mon taux de compréhension des paroles fut à peine plus élevé ici que pour Goldie Lookin' Chain. Je ne connaissais de TTC que Dans le club et leur participation à Le hip-hop, c'est mon pote mais m'étais forgé un a-priori plutôt favorable qui fut glorieusement confirmé par leur concert. Le groupe comprend trois personnalités, trois physiques et trois types vocaux très différents (je passe sous silence le DJ, tapi dans l'ombre durant la majorité du set). Un Jésus portant un tee-shirt jusqu'aux genoux (Cuisinier), dont la spécialité est le rap sur intonation montante, un Yannick Noah (le plus "cool" de la bande) et un François Hadji-Lazaro, dont la présence sur scène durant tout le pré-concert m'avait donné l'impression qu'il était un roadie. Le plus admirable dans TTC (outre leur capacité à exploser la barrière des 345 mots, au moins, à la seconde) est l'énergie hallucinante transportée par les beats, qui ont plus à voir avec l'electronica festive (et la musique de jeux vidéo) qu'avec le bandes sonores du rap US (sauf peut-être celles de Timbaland). Une autre raison de sortir du concert avec un sourire jusqu'aux oreilles est leur manière de traduire littéralement en français les expressions toutes faites du rap anglo-saxon ("Bouge ton cul", "Faites du putain de bruit", ce genre de choses..) Je ne sais pas si c'est un hommage ou s'ils prennent la pisse (moi aussi je peux) mais c'est très drôle. Sans aucun doute un de mes concerts du weekend. Il va aussi falloir que j'écoute l'album. En fait, les festivals ne sont jamais que des immenses machines promotionnelles destinées à me faire acheter des disques, et je me laisse encore avoir comme un bleu.
Nous terminons cette (trop) longue journée par cinq minutes d'Apocalyptica, un quatuor de violoncellistes qui s'étaient fait connaître il y a plusieurs années par un album de reprises de Metallica. Nous sommes d'ailleurs arrivés pour le rappel où ils ont justement joué Enter Sandman devant un public chauffé à blanc (qui hurlait les textes) puis une composition à eux. Il y a quelque chose d'infiniment jouissif à voir ces quatre hurluberlus torse nu dans un décor de cimetière à l'abandon jouer du violoncelle tout en agitant leurs cheveux comme dans une pub pour du shampooing au Monoi d'autant que, un batteur et l'amplification électrique aidant, ils parviennent à reproduire de manière assez bluffante le son du heavy-metal. Les dix minutes de concert auxquelles j'ai assistés m'ont bluffé. Il n'aurait peut-être pas fallu que cela dure beaucoup plus longtemps cela dit.
(suite et fin ici)
2 commentaires:
Lecture en diagonale, mais globalement je partage ton avis sur Arcade Fire. Oui c'est bien, mais bon pas de quoi appeler toutes les hotlines du bon gout...
Disons que ça (Arcade Fire) me rappelle beaucoup l'article que tu avais écrit fort justement sur les médias et l'influence qu'ils peuvent avoir sur notre jugement.
Autant j'ai pu ignorer des groupes portés par la vague. Eux, non. Mais c'est justement parce qu'ils ont parlé d'un sujet (la mort) qui était autour de moi à l'époque. Faut que l'album arrive au bon moment pour qu'il te touche.
Deuxièmement, ta description reflète assez bien ce que j'avais vu d'eux à Bxl et je constate qu'ils n'ont pas trop changé leur show depuis: ça pourrait bien être du chiqué, mais je préfère voir un peu de vie et d'intéraction (impossible dans les festivals) sur scène qu'un groupe préfabriqué qui t'en donne pour ton argent et c'est tout, qu'un groupe querelleur qui fait rigoler deux secondes (mais c'est wock'nwoll, man!), ou un groupe qui regarde ses pieds parce qu'il "souffre".
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