jeudi, novembre 8

Patrick Wolf, Ancienne Belgique, 31 octobre 2012 (II)

A 20 h précises, Abi Wade rentre sur scène, violoncelle à la main et s'installe, non sans quelques difficultés : il faut fixer le pied du violoncelle, placer précisément les pédales lui permettant de frapper le tambourin et la boîte en bois qui lui servent de percussions. Tout cela prend du temps et ni le public ni elle ne semblent disposés à briser le silence, étonnamment pesant, qui règne dans la salle. Des deux côtés, on s'observe, on se jauge.

Quand la musique commence, c'est elle qui prend l'initiative dans ce lent processus d'apprivoisement réciproque. Les morceaux sont courts, accrocheurs et sa voix d'alto se marie parfaitement avec le son des instruments. Outre les percussions précédemment mentionnées, elle joue de son violoncelle soit en pizz soit avec l'archet, ou en frappant la caisse de résonance avec des mailloches. Tout est joué en direct. Contrairement à bon nombre d'artistes du même genre, aucune pédale de sample n'est utilisée.

Musicalement, on n'est pas très éloigné de tUnE-yArDs, en plus sage, ou des débuts de Florence and the Machine, quand cette dernière n'était pas encore une bête de stade mais semblait juste être une harpiste un peu dérangée, qui avait décidé sur un coup de tête de se lancer dans la pop.

Une artiste à suivre en tout cas. Le premier single vient de sortir ou devrait sortir incessamment



21 h. Un piano à queue, un violon, une harpe, un ukulélé, deux hautbois. Les instruments visibles sur scène résument bien l'esprit de l'album qui vient de sortir et de la tournée qui l'accompagne : revisiter en acoustique dix ans de carrière en picorant quelques chansons emblématiques dans un répertoire qui a souvent joué sur les contrastes entre acoustique et électronique, douceur folk et caractère abrupt des beats synthétiques.

Pour certaines chansons, déjà essentiellement acoustiques, cela ne pose guère de problèmes, pour d'autres (Together, Vulture,..) l'exercice est nettement plus ardu, mais souvent réussi. Dans Vulture par exemple, les passages les plus bruitistes sont intelligemment remplacés par des traits de virtuosité au piano, soudain trop-plein sonore qui permet d'en rendre la dynamique. Dans un autre genre, Together (non joué ce soir), dépouillé de sa ligne de basse dansante, révèle un cœur tout palpitant de romantisme. Le seul regret que je pourrais formuler est que, dans cet écrin dépouillé, il est plus difficile d'ignorer certains de ses maniérismes vocaux (les glissandos notamment).

Au cours de la soirée, Patrick alterne entre piano, harpe et ukulélé et est ponctuellement rejoint par un accordéoniste, son stage-manager/hautboïste ou Abi Wade, venue jouer du violoncelle sur deux ou trois titres. Bizarrement, le violon ne quittera pas son support de toute la soirée, quoique sa présence sur scène, au cas où, peut s'expliquer : la setlist change chaque soir, parfois à la demande du public. J'ai ainsi le plaisir d'entendre une de mes chansons préférées, Pumpkin Soup, de circonstance en ce soir d'Halloween et demandée par une de ses fans fidèles du premier rang.



Le parti-pris général de sobriété des arrangements se confirme aussi dans son costume de scène, noir et étonnamment sage, malgré une tête de mort en bois portée en collier (et qu'il finira par lancer dans la foule en prévenant 'It's heavy ! You can't sue me if someone gets hurt !'). La scène est presque vide, éclairée par quelques spots, dont la puissance sera diminuée en cours de concert à sa demande, et par des projections noir et blanc en arrière-plan que ma voisine qualifiera perfidement d'"album de vacances des jeunesses hitlériennes", juste parce que Patrick y gambade à plusieurs reprises torse nu dans les alpages, un pistolet à la main, et qu'on y voit des danses folkloriques qui fleurent bon l'apfelstrudel et les culottes de peau.


Plus que tout cela, cependant, le prix de ce concert pour moi a été de voir sur scène un musicien souriant et apaisé, content d'être là, allant même jusqu'à évoquer les mauvais souvenirs qu'il gardait de ses précédents concerts bruxellois (l'annonce juste avant de monter sur scène de la mort d'une de ses tantes, le bus de tournée cambriolé et les papiers d'identité volés, sa présence incongrue au sein d'une affiche plutôt rock lors de son premier concert au Domino Festival,....) avant de dédier The City au public bruxellois, composant au passant une rime riche destinée à passer à la postérité "We kiss by the Manneken Pis".

Je ne me fais en général guère d'illusions sur le caractère sincère des compliments qu'un artiste lance sur scène à son public mais je dois dire qu'après le concert renfrogné et légèrement hostile de l'année dernière, cette soirée m'a réconcilié avec le personnage. Au cours de sa carrière, le mal-être a sans doute nourri certaines des chansons les plus abouties de son répertoire, mais force est de constater que le bonheur lui sied mieux. Puisse-t-il en être ainsi jusqu'à la prochaine tournée.

Bien que le prix hallucinant du tour EP (cinq titres sur un CD gravé dans une pochette en papier pour 25€ !) m'a fait tiquer (sorry William), il n'a été qu'une ombre passagère sur mon humeur euphorique d'après concert.

lundi, novembre 5

Patrick Wolf, Ancienne Belgique, 31 octobre 2012 (I)

Voulant préparer la rédaction de ce billet, je me suis rendu compte que je n'avais bizarrement chroniqué aucun de mes concerts de Patrick Wolf par ici. Celui-ci sera donc l'occasion d'un petit bilan rétrospectif.

J'ai découvert Patrick Wolf dans le NME un peu avant la sortie de son premier album, commandé dans la foulée sur Amazon (Amazon, qui se souvient de tout, me rappelle que dans cette commande se trouvaient aussi The Rapture, Mark Owen, Justin Timberlake, Atomizer et Richard X, c'était donc en plein milieu de ma phase de réamour avec la pop).

Immédiatement tombé sous le charme de l'electro-pop de Bloodbeat et de la folk biscornue de Pigeon Song, j'en parle partout autour de moi, me faisant le héraut de la bonne parole lupine sur les forums (Popjustice) et les mailing-listes que je fréquente (la défunte Lenoirliste), allant jusqu'à le "plugger" aux radios que j'écoutais à l'époque (Radio 21 par exemple). Je finirai même par l'interviewer pour la Blogothèque (une expérience dont je garde un souvenir mitigé; ayant négligé la difficulté technique de l'enregistrement de la conversation, la transcription fut très difficile et le résultat écrit décevant).

Je garde de cette période de "militantisme" un fort investissement émotionnel dans la carrière du bonhomme. Contrairement à la plupart des artistes que je suis, j'assiste à un concert de Patrick Wolf pas seulement pour le plaisir de l'entendre chanter ou de le voir titiller la corde avec son archet, mais aussi pour prendre de ses nouvelles. Où se situe-t-il dans sa carrière ? Est-il heureux de jouer ? Aime-t-il encore son "métier" ? Quel est son public ?

De ce point de vue, les enseignements au cours des années furent nombreux et variés. Au début de sa carrière, Patrick Wolf n'aimait guère la scène et cela se sentait. Il était emprunté, mal à l'aise, taiseux. C'était particulièrement le cas lors de son tout premier concert en Belgique, à l'AB Club en 2004 (je me souviens que, une demi-heure avant de jouer, il traînait, l'air mal à l'aise, près du stand merchandising et que sa manager de l'époque, qui tenait le stand, l'encourageait à faire un effort en lui répétant que c'était 'an important gig!') ou lors de son premier passage au Pukkelpop en août 2005.

Pour compenser, il s'était ensuite dissimulé derrière une course à l'extravagance qui se manifestait notamment dans les costumes. Ensuite, lors de son (court) passage sur une major pour le troisième album, son comportement sur scène était devenu proche de l'auto-destruction. Il piquait des colères terribles, balançant des sièges sur ses musiciens, écourtant ses concerts sur un coup de tête, congédiant ses musiciens. Les concerts de cette époque auxquels j'ai assisté m'avaient durablement attristé. Le loup était en berne, la flamme éteinte, l'envie absente. Il semblait n'être sur scène que parce qu'il y était contractuellement obligé, possiblement sous l'emprise de quelque drogue en -ine. L'album, The Magic Position, ayant en outre été pour moi une déception, j'avais à cette époque presque renoncé à le suivre.

Heureusement, il a rapidement quitté son label (ou été viré, les versions divergent) pour financer son album suivant sur Bandcamp, amorçant ainsi une renaissance qui a donné lieu à The Bachelor, un de ses meilleurs albums, coproduit en partie par Alec Empire, et à sa meilleure tournée (le concert d'octobre 2009 au Bota était parfait). Le dernier album était plutôt bon mais le concert de la Rotonde en 2011 était une énorme déception, pour des raisons qui deviendront claires dans le prochain billet. Pendant ces années, j'ai aussi vu son public évoluer, sensiblement rajeunir et se féminiser, jusqu'à devenir à certains moments un public de midinettes, ce que confirment d'ailleurs des forums presque désertés et des pages tumblr hyperactives pleines de gifs  kikou-lol-too-cute.

Prendre un ticket pour un concert de Patrick Wolf revient donc souvent à acheter une pochette surprise. On ne sait jamais ce que l'on pourra en fin de compte en retirer, à tel point que j'avais fini par appréhender mes rendez-vous annuels avec Patrick, susceptibles de se révéler, le jour venu, magiques ou désastreux, sans que le public, à chaque fois conquis d'avance, n'y puisse rien changer.

(la suite ici)

mercredi, octobre 24

Richard Gotainer, Casino de Chaudfontaine, 18 octobre 2012

Si on exclut Brian Eno et Scott Walker, qui ne font plus de concerts, et les Cocteau Twins, qui n'existent plus, Richard Gotainer était sans doute le dernier des artistes dont je me dirais vraiment fan et que je n'avais jamais vu en concert.

Le concept du spectacle est "Comme à la maison", d'où un décor de salon bourgeois, avec théière sur table basse et fauteuil confortable, d'où aussi une setlist qui alterne tubes fédérateurs (la salle semblait particulièrement impatiente d'entendre Le Youki) et morceaux plus obscurs, dont deux pour moi incontournables : Le Béquillard des bois et surtout, l'hexalogie zazou Les quatre saisons, sommet indiscutable de l'oeuvre gotaineresque.



Les arrangements sont relativement proches des versions studio, avec un accent plus rock. Ainsi, le synthé est rarement mis en avant comme dans ses tubes 80s. Les quatre musiciens et la choriste sont dans l'ensemble très bons, avec mention spéciale au batteur, et le timbre de voix légèrement voilé de Gotainer semble ne pas avoir trop souffert du passage des ans.  Cadeau Bonux : le mythique Celmar Engel, complice depuis les débuts, avait même fait le déplacement pour s'occuper de la console.

Dans le domaine de la musique live, rien ne surpasse pour moi le plaisir d'un concert où je reconnais la moindre chanson après quelques secondes et ce fut bien le cas ici (sauf une, extraite d'un album que je n'ai écouté qu'une fois, ai immédiatement rejeté et devrais sans doute réécouter). J'ai fredonné la plupart des paroles, le sourire aux lèvres, content de laisser simplement se succéder des chansons que j'aime, interprétées par un chanteur et des musiciens qui avaient l'air contents d'être là. Aucune surprise donc, mais un excellent concert qui a rapidement conquis le public du casino de Chaudfontaine, quasiment plein.

Ce public était par ailleurs d'un type que j'ai peu connu durant mes années de rat de concerts : ce que les médias appelleraient sans doute un public "familial" et "populaire". Des parents avec leurs enfants (riant bruyamment aux allusions scatologiques), des parents avec leurs parents (souriant aux allusions nostalgiques), des enfants avec leurs enfants (courant dans les allées) et des enfants avec leurs parents (ricanant discrètement aux allusions salaces). Pour la plupart, les spectateurs semblaient être venus pour les tubes, parce qu'ils avaient un abonnement au festival ou pour d'autres raisons obscures liées au sponsoring de la manifestation.

L'impression générale était donc d'un public qui n'avait qu'une connaissance approximative de l'oeuvre, qui était avant tout là pour s'amuser devant un concert qu'ils espéraient comique (comme mes voisins de derrière qui ont passé tout l'avant-concert à s'invectiver bruyamment et à rire de tout et de rien, jusqu'à faire fuir presque toute la rangée devant eux vers d'autres sièges).

Comment ce public allait-il réagir aux chansons moins connues, où la drôlerie cède la place aux allitérations poétiques (Le Béquillard) ou à la mélancolie (Elle est partie avec Robert, Rupture de stock) ? A ma grande surprise, elles sont accueillies avec enthousiasme, si pas quand elles sont annoncées, au moins quand elles se terminent. Durant les rappels (vingt bonnes minutes tout de même), la salle est debout ("tout le monde se lève pour..."). Je parlerais presque d'un triomphe. Comme quoi, le talent paie toujours.



Seul regret, ils n'ont pas joué Hallelujah, qui faisait pourtant partie du spectacle en début de tournée.

Bonus : Une esquisse en deux billets de la carrière de Gotainer par bibi ici et

Setlist (à quelques erreurs près) :
Tout Foufou
La ballade de l'obsédé
Quéquette blues
Chlorophylle est de retour
Avant de voir ses yeux
Youpi, c'est l'été
La photo qui jaunit
Elle est partie avec Robert
A gue gue/Le renouveau
Trois vieux papis
Le béquillard des bois
Une petite perle
Rupture de stock
Le Youki
Chipie
Primitif
Poil au tableau
Maman flashe et papa flippe
Belle des champs/BN/Vittel/Banga
Le sampa
Le Mambo du décalco

mercredi, octobre 3

Dead Can Dance, Cirque Royal, 29 septembre 2012

Seize ans après l'annulation de la tournée Spiritchaser pour cause d'engueulades récurrentes entre Brendan Perry et Lisa Gerrard, Dead Can Dance revient à Bruxelles. C'est la troisième fois que je les vois en concert, après la tournée Toward the Within en 1993 et leur concert au Palais des Beaux-Arts en 2005.

En 1993, ce concert avait été pour moi une sorte de pèlerinage, je partais me prosterner devant deux demi-dieux, auxquels je rendais depuis des mois pieusement hommage tous les jours après l'école en écoutant The Arrival and the Reunion, The Host of Seraphim ou Avatar à fort volume dans une maison vide, histoire de m'élever au-dessus des soucis de la journée. A l'époque, je mangeais, buvais, dormais, rêvais, marchais, pensais, travaillais, vivais Dead Can Dance. Ils étaient omniprésents dans mes pensées, du lever au coucher. J'ai commencé à lire les Inrocks parce qu'ils avaient publié une interview d'eux (interview médiocre, comme toutes celles qu'ils ont données au cours de leur carrière), à écouter Max sur Fun Radio la nuit parce qu'il les aimait bien, à écouter les Cocteau Twins, This Mortal Coil et plus généralement la musique indé parce que c'était l'univers dont ils étaient issus. C'est la seule époque de ma vie au cours de laquelle j'ai laissé de côté mon ouverture d'esprit musicale. Les chansons qui passaient à la radio m'ennuyaient, terrain de jeu réservé aux médiocres qui n'avaient pas encore vu la lumière. Non, j'avoue. Je n'étais pas très rigolo à cette époque.

Quand quelques années plus tard (1996 ?), le groupe s'est séparé. Je me rappelle n'avoir pas été particulièrement affecté. Les disques étaient toujours là, à portée de main, et le pouvoir régénérateur de la musique qu'ils contiennent m'affectait toujours autant. Que l'oeuvre soit close ne posait guère de problèmes pour un groupe dont je pouvais écouter dix fois d'affilée la même chanson sans me lasser. Se sont ensuite succédé des projets solos plus ou moins réussis. Lisa Gerrard alternait des bandes originales de film, où elle gaspillait son talent à marmonner quelques notes d'un air distrait sur un tapis de nappes synthétiques, et des albums toujours moins denses où, à force de gommer toute aspérité et tout rythme, elle parvenait à faire perdre à sa voix presque tout son pouvoir incantatoire (je devrais réécouter aujourd'hui Immortal Memory, que j'avais violemment rejeté à l'époque). Brendan Perry se faisait plus rare, organisant des stages de percussion à Quivvy et ne sortant qu'un album solo à la fin des années 90 (le deuxième, Zun Zun, longtemps annoncé, n'a jamais vu le jour).

Pour ma part, je reprenais goût à d'autres musiques. A cette époque est réapparu mon goût de la pop commerciale (je scrutais les sorties Cheiron, achetais les compilations Now et regardais religieusement Top of the Pops sur la BBC), que je faisais voisiner avec celui de la musique indé (le binôme Lenoir-Inrocks). C'était la période où je voyais plus de trente concerts par an. Certes, Dead Can Dance était resté le groupe n°1 dans le classement de mes groupes préférés (exercice vain mais obligé de tout fan obsessionnel de musique), mais je les écoutais peu et quand je les écoutais, c'était le plus souvent en faisant autre chose. Mon rapport à leur musique n'était plus de l'ordre de la contemplation respectueuse. Ils étaient devenus presque un groupe comme les autres, pourvoyeur de chansons à passer entre First We Take Manhattan, Another Night In ou Stripped dans mes demi-heures "J'écoute de la musique en rangeant et en chantonnant". Le groupe était rentré dans le rang.

Puis vint en 2005 la tournée de reformation, dont je parle abondamment ici. Il s'agissait d'une tournée sans album, basée essentiellement sur la nostalgie, qui donnait parfois l'impression de voir deux concerts solo en parallèle mais n'apportait finalement pas grand-chose à la carrière du groupe.

En 2010, Brendan Perry publia enfin son deuxième album solo, Ark, assez éloigné de son premier. En onze ans, son rapport aux instruments semblait avoir changé. Finie la recherche éperdue d'instruments exotiques et de sons du monde. Vive les sons électroniques et synthétiques. Le résultat était souvent impressionnant, mais, n'était sa voix, j'aurais sans doute peiné à y reconnaître spontanément la patte du grand ordonnateur de Aion ou The Serpent's Egg.

Enfin, en 2012, l'annonce assez inattendue d'un nouvel album et d'une nouvelle tournée. L'album, Anastasis, est plutôt bon je crois, mais totalement sans surprises. Si on m'avait demandé d'extrapoler à partir de Ark et de Spiritchaser sa description, je ne serais sans doute pas tombé très loin de la réalité. Ce qui frappe de prime abord en parcourant le livret est l'absence totale de musiciens crédités. Il semblerait soit que Brendan et Lisa aient honteusement exploité des intervenants de l'ombre, soit qu'ils aient réellement tout interprété eux-mêmes. Cette dernière hypothèse expliquerait sans doute le recours fréquent aux sons synthétiques, notamment pour les percussions. Anastasis serait ainsi l’œuvre de deux musiciens qui pour reprendre leur collaboration artistique, souvent compliquée et longtemps interrompue, se sont recentrés sur eux-mêmes, sans intervention extérieure.

L'album respecte scrupuleusement en surface la parité : quatre morceaux chantés par Lisa, quatre par Brendan, mais indépendamment de cette équilibre des voix, l'album est manifestement plus l’œuvre du second : l'inexorable avancée des percussions, les cris d'oiseau, la construction même des morceaux rappelle de manière criante ce que Brendan faisait en solo, tandis que les albums solo de Lisa se sont au fil des ans éloignés toujours davantage de la matrice thanatopotentioterpsichoresque (à moins que ce ne soit thanatodynamoterpsichoresque). Il m'apparaît de plus en plus évident que, contrairement à ce que beaucoup disent, Brendan est véritablement l'âme du groupe. Seul, il peut faire du Dead Can Dance. Lisa en semble par contre incapable.

Bien sûr, on n'atteint pas tout à fait le niveau de leurs grandes oeuvres passées et certains morceaux sont un peu faciles. Return of the She-King en particulier m'ennuie (corny muse ?) mais l'ampleur du son, le hiératisme et la pesanteur des atmosphères, le contraste des voix, bref ce qui a fait l'essentiel de la gloire du groupe était bel et bien présent, apparemment intact après toutes ces années.

La question se pose donc : que reste-t-il  de Dead Can Dance aujourd'hui ? Que représente encore le groupe en 2012 ? J'y vois une collaboration, plus ou moins étroite selon les époques, de deux fortes personnalités qui sont par bien des points antagonistes mais tentent de trouver un point d'équilibre entre terre et éther, entre mysticisme et animisme, entre folk et new-age, entre Occident et Orient, entre mort et danse, ayant suivi un parcours compliqué mais somme toute cohérent qui les a menés du punk gothique à la musique du monde, de l'obscurité à la lumière, de l'enfermement aux grands espaces, de la tension à une forme d'apaisement teinté d'inquiétude. Plus personnellement, le groupe est sans doute aussi la bande-son de l'évolution de mon rapport à la musique et au monde, passant de l'adoration adolescente mystique vers une appréciation objective basée essentiellement sur les mérites artistiques, encore accompagnée par une petite pointe de nostalgie.

Comment cela allait-il se traduire en concert ? Ce qui frappe de prime abord est que, même si l'album semblait être une œuvre à deux, six personnes entrent sur scène, dont deux percussionnistes. En live au moins, l'acoustique prime encore sur l'électronique. Autre bonne nouvelle, on a vraiment l'impression de voir un groupe jouer sur scène. Contrairement à la tournée de 2006, l'un(e) ne part plus en coulisses pendant que l'autre chante. Ils collaborent sur presque tous les morceaux, même si leurs voix se mêlent rarement. Ils interprètent l'entièreté du nouvel album, quasiment à l'identique, plus quelques morceaux plus anciens (Rakim, Sanvean, Dreams Made Flesh, The Host Of Seraphim, The Ubiquitous Mr Lovegrove, Nierika), une reprise par Brendan de son bien-aimé Tim Buckley (Song to the Siren, déjà repris par qui vous savez) et deux inédits, auxquels Lisa adjoint quelques dispensables morceaux de sa carrière solo, dont une très vilaine chanson tirée de la BO de Gladiator.

Depuis vingt ans, j'utilisais pour mesurer le degré de mysticisme et d'évaporation de Lisa Gerrard le tempo de Sanvean. Samedi, celui-ci était tellement lent et hiératique que l'aiguille pointait résolument vers "complètement dans les limbes". Pourtant, Lisa semble plus ancrée dans le réel et en bien meilleure santé que lors de ses précédentes apparitions en public. Elle a notamment réappris à marcher seule et n'a plus besoin qu'on la soutienne pour faire deux pas. Mon côté médisant pourrait ajouter que la chirurgie esthétique l'a rendue quasiment méconnaissable (pour une femme qui a donné si longtemps l'impression d'être en-dehors/au-delà du monde matériel, le processus mental qui mène à souhaiter un lifting paraît par ailleurs bien incongru).

Le public est un mélange hétérogène de corbeaux en costumes, de fans de la première heure et de pedzouilles venus se montrer au concert branchouille de la semaine (ce qui explique sans doute que le morceau accueilli avec le plus de ferveur fut contre toute logique Now We Are Free). Pourtant, dès que le groupe faisait mine de quitter la scène, ces 2500 personnes, a priori si différentes, se levaient d'un seul bloc, sauf mes voisins, rétifs. Même assagi, même rentré dans le rang, même en grande partie débarrassé de sa mystique, le groupe inspire donc encore la dévotion, par la seule force de sa musique. Ce n'est pas rien.

Setlist  (quand rien n'est précisé, le morceau est extrait du dernier album Anastasis)

- Children of the Sun
- Anabasis
- Rakim (Toward the within)
- Kiko
- Lamma Bada (inédit)
- Agape
- Amnesia
- Sanvean (Toward the within ou The Mirror Pool)
- Nierika (Spiritchaser)
- Opium
- The Host of Seraphim (The Serpent's Egg)
- Ime Prezakias (inédit)
- Now We Are Free (Gladiator OST)
- All in Good Time

Encore:
- The Ubiquitous Mr. Lovegrove (Into the Labyrinth)
- Dreams Made Flesh (1er album de This Mortal Coil)

Encore 2:
- Song to the Siren (reprise de Tim Buckley)
- Return of the She-King

Encore 3:
- Wandering Star (The Silver Tree)

vendredi, septembre 21

Pet Shop Boys - Elysium (III)

9 - Give It A Go (7,5/10)

Au milieu des années 80, Neil expliquait que l'amour vous tombait dessus sans prévenir et qu'il était futile de résister (Love Comes Quickly). Au début des années 2000, il prétendait au contraire que l'amour était un choix conscient et qu'il ne fallait pas venir se plaindre après (You Choose). Ici, le romantisme de la première proposition et le pessimisme de la seconde se diluent dans quelque chose de plus indéfinissable, à la fois moins idéalisé et plus léger : et si, en attendant mieux, on décidait de faire ensemble un bout du (court) chemin qui nous reste à parcourir ? Chanté par un sexagénaire, cela pourrait sembler déprimant, mais l'accompagnement au piano et quelques accords de guitares épars parviennent à enrober un refrain par ailleurs un peu malingre (on en était à combien ?) et à colorer le propos d'une forme d'optimisme lumineux, mais conscient que, dans ces matières, les enjeux sont de moins en moins importants au fur et à mesure que l'on vieillit. "Why not give it a go?" Si ça marche, tant mieux. Si non, tant pis, il y a toujours la prochaine fois.

10 - Memory of the Future (8/10)

Qu'ils sont contrariants ces chanteurs qui changent d'avis d'une chanson à l'autre. Cet enchaînement a manifestement été soigneusement pensé. La relation devenue presque sans enjeu suggérée par la chanson précédente devient ici la consécration d'une vie de recherches, "It's taken all my life to find you". Il s'agit sans doute du morceau le plus immédiatement séduisant de l'album. Les différents couplets et refrains s'enchaînent avec l'inexorable évidence des meilleures chansons pop (le changement d'ambiance à 1:30 est parfait). Pourtant, on en sort avec un goût de trop peu et l'impression désagréable d'avoir emprunté un tapis roulant circulaire qui ne mène nulle part. N'y aurait-il pas eu moyen de faire plus avec ces ingrédients, de remplir ce magnifique contenant ornemental par un contenu narratif, de parachever ce climat musical par un climax expressif ? (Note de l'éditeur : ne jamais dire trois fois ce que l'on peut dire en une) Pour la prochaine tournée, je leur suggère d'enchaîner cette chanson directement avec un autre titre qui pourrait servir de résolution à la frustration qu'elle génère, It's a sin par exemple.




11 - Everything Means Something (8,5/10)

Le plus intelligemment construit des morceaux de l'album. Comme pour le précédent, on pourrait dire que ce morceau n'évolue pas et qu'il nous ramène à son point de départ, mais l'absence d'évolution est ici compensée par les allers et retours incessants entre des couplets malaisants, sous-tendus par des percussions martiales et des notes graves de synthé symbolisant le bouillonnement de la lave du ressentiment dans le volcan endormi de l'habitude (Note de l'éditeur : non mais c'est pas bientôt fini, cette accumulation de métaphores oiseuses !) et des refrains lumineux (modulation!!! même si celle-ci est un brin cheesy) sous forme de constat détaché. Oui, tout a une signification, même les erreurs commises. On est toujours responsable des relations que l'on entretient avec d'autres et si on y attache peu d'importance, c'est déjà en soi significatif (je paraphrase). Difficile de rassembler les fils narratifs de ces trois dernières chansons. Contrairement à la rumeur, peut-être cet album n'est-il pas censé se lire comme une autobiographie ? Les grilles de lecture uniques sont si limitantes.


Pet Shop Boys - Everything Means Something (Elysiu… - MyVideo


12 - Requiem in denim and leopardskin (8/10)

Chronologiquement une des premières chansons écrites pour l'album, elle a donné le ton pour l'écriture de bon nombre des autres : thématiques du deuil, de la célébration et de la renaissance, électronique discrète sur un tapis orchestral de cordes, choeurs d'accompagnement. C'est très élégant, mais sans doute un peu trop convenu à mon goût. Le morceau souffre de la comparaison avec Legacy, le morceau qui refermait le précédent album et qui, sur une thématique assez proche, me semblait être plus imposant et receler plus de mystère. Peut-être finalement est-ce cela que l'album essaye de nous dire : la mort n'est ni imposante, ni mystérieuse. Elle est, tout simplement, et il faut faire avec, passer outre et continuer à vivre.   


Après des calculs savants, j'obtiens une moyenne assez médiocre de 7/10 et, effectivement, le sentiment qui domine est pour moi une légère déception. Elysium n'est pour moi pas tout à fait au niveau des deux précédents albums, plus disparate aussi. Pour obtenir un album thématiquement plus tenu, il aurait fallu retirer 3,4, 7 et 8. Pour obtenir le "one-mood record" que Chris appelait de ses voeux, il aurait fallu retirer 3, 5, 7 et 10.

Tel qu'il est, il reste cependant la confirmation que faire de la pop-music à 60 ans, transposer dans le cadre d'une chanson de trois minutes trente destinées aux masses des proccupations graves et marier les contraires avec humour et légèreté, c'est possible.... même s'il sont à ma connaissance les seuls à le faire (Magnetic Fields ?).

Liens : un autre chronique, parue hier, avec laquelle je suis assez d'accord

jeudi, septembre 20

Pet Shop Boys - Elysium (II)

3 - Winner (5/10)

C'est devenu un lieu commun de dire que le groupe n'est plus capable de choisir les bons singles. Nouvelle preuve ici avec Winner. Tout porterait à croire que la chanson a été écrite pour profiter de la vague médiatico-patriotique qui allait accompagner les JO de Londres. Neil prétend pourtant qu'ils l'ont écrite en pensant à l'Eurovision, comme un exercice de style : "Et si on composait une power-ballad mid-tempo hands-in-the-air à la Take That, genre Greatest Day ?"
Il aurait été miraculeux qu'une chanson aux motivations aussi peu glorieuses puisse être autre chose qu'une déception et, en effet, elle tombe à plat avec un bruit de succion triste, comme une serpillère trempée dans de l'eau tiède qu'un tenancier de bistrot,  se sentant obligé, par habitude ou lassitude, de frottouiller le carrelage de son établissement après une soirée de ventes à perte, met à terre avec un soupir désabusé. Pour tout dire, je ne peux m'empêcher de penser "Whiner" durant le refrain, terme qui correspond bien à l'intonation de Neil, plus geignarde que triomphale (2ème exemple de refrain raté). Peut-être se rend-il compte que rien n'est plus vain que de célébrer ceux qui réussissent et n'en ont pas besoin (médailles ou Rolex leur suffisent). La dernière phrase, pernicieuse, du refrain "Enjoy it while it lasts" pourrait être l'amorce d'une rédemption, le point de départ d'une réévaluation de la chanson, mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, je veux savourer mon désappointement jusqu'à la lie, voire jusqu'à l'hallali. Le sanglier de la déception ne devient en effet touchant que lorsqu'il est aux mains des chasseurs de l'enthousiasme forcé (Note de l'éditeur : je m'étais pourtant juré de ne plus justifier des jeux de mots foireux par des métaphores qui le sont encore plus mais la chair est faible, surtout quand elle s'est fait(e?) Verbe).



4 - Your Early Stuff (7/10)
L'idée de départ est amusante : écrire une chanson à partir des commentaires que les chauffeurs de taxi font à Neil quand ils le véhiculent dans Londres ("je suppose que vous avez pris votre retraite à présent", "j'ai lu quelque part que vous aviez écrit une musique de film", "j'aimais bien que vous faisiez au début de votre carrière", etc.). Malhereusement, la réalisation n'est pas à la hauteur, surtout à cause d'un refrain désespérément plat et monotone (et de trois !). Un des couplets à 1:05 tente désespérément d'insuffler un peu d'énergie mais la chanson dans son ensemble se révèle finalement une constatation auto-réalisatrice : moi aussi, je préfère aussi leur "early stuff" à cette chanson filandreuse.

5 - A face like that (8/10)
Le positionnement après Your Early Stuff est tout sauf une coïncidence. La première minute de cette chanson aurait pu se trouver sur leur premier album. La basse, par exemple, fait beaucoup penser à celle de Love Comes Quickly, les "handclaps" aussi. AFLT sera donc le morceau où le groupe retourne au son de ses débuts et, musicalement au moins, c'est très réussi (ils en sont donc encore capables, si leur musique a évolué, ce serait plus le résultat d'un choix que d'une perte d'inspiration, c'est peut-être un détail pour vous mais j'y vois un passionnant sujet de dissertation). L'album avait besoin à ce stade d'une chanson qui, soniquement, réveille l'auditeur et AFLT remplit parfaitement ce rôle. Le refrain est particulièrement entêtant. On y parle de quelqu'un qui a un si beau visage qu'aller sur la lune ne serait plus qu'un formalité (....non, moi non plus), mais mis à part ce miraculeux effet de la régularité des traits sur la gravité universelle, le sens général des paroles reste obscur. Et ce n'est finalement pas si grave. La pop, comme la poésie, est libre d'échapper quand elle le désire à la tyrannie du signifiant.


6 - Breathing Space (9/10)
Ah, le bonheur de reprendre un peu de temps pour soi, de faire fi des contraintes et des
obligations, de se retrouver face à soi-même. De nouveau, il est tentant d'y lire un état des lieux de Neil la pop-star (comme l'était To Step Aside sur Bilingual). C'est thématiquement et musicalement le petit frère d'Invisible, en presque aussi réussi, avec un rôle accru des cordes, des guitares et des percussions. De nouveau, une chanson qui gagne à être écoutée au casque, par exemple pour les samples de voix en arrière-plan de l'intro.

Breathing Space (Elysium, Pet Shop Boys) from hcampos on Vimeo.


Est donc venu le temps des regrets et des rétractations : Andrew Dawson, je m'excuse  de toutes les horreurs que j'ai pu penser quand votre nom m'est apparu pour la première fois. Cette collaboration est officiellement un succès.


7 - Ego Music (8/10)
Your Early Stuff et Ego Music sont deux chansons qui en d'autres temps auraient été des B-sides, des chansons un peu étranges, potaches, clins d'oeil complices réservés aux fidèles. Neil se moque ici des déclarations tapageuses des stars sur les réseaux sociaux ou en interview (pensez Kanye, Gaga et consorts) pleines d'auto-satisfaction, de fausse humilité et de lieux communs, du genre "I think what fascinates people about me, and I'm really grateful to my fans, is that I'm totally fearless". On retrouve ici le gros son synthétique de AFLT, avec des ornements de synthé et des percussions très en avant dans le mix. Excellent morceau, mais qui semble un peu hors de propos dans le contexte d'un album, même si je suis sûr que Neil Tennant est conscient de l'ironie inhérente au fait d'inclure une chanson satirique intitulée Ego Music dans l'album (censément) le plus autobiographique de sa carrière.


Pet Shop Boys - Ego Music (Elysium 2012) - MyVideo

8 - Hold On (2/10 ou autre chose, allez savoir !)
Quand le premier "Hold Ooon" jaillit des enceintes comme un torrent de tisane à la verveine s'écoulant d'une prise de courant triphasé, j'éprouve une réaction de sidération abasourdie qui décourage tout discours critique. Cet optimisme forcé à la Disney, ces choeurs de comédie musicale me semblent à un tel point l'antithèse de tout ce qui fait le groupe que je ne parviens même pas à me poser la question du j'aime ou j'aime pas. La citation de Handel est appréciée et les cordes en arrière-plan aussi, mais fondamentalement les seules choses que je peux en dire, c'est "Gnnnnn??" ou le robotique "DOES! NOT! COMPUTE!!".



(la suite ici)

mercredi, septembre 19

Pet Shop Boys - Elysium (I)

2012. Pour la quatrième fois depuis mes débuts sur le Web, le deuxième meilleur groupe du monde sort un album. Comme je suis un être d'habitudes et de traditions, pour la quatrième fois, je me sens forcé de célébrer sa sortie par une chronique kilométrique et détaillée. 

Plantons le décor. Le précédent album, Yes, date de 2009 et était un feu d'artifices pop produit par Xenomania, responsables des meilleures chansons pop commerciales anglaises de ces 10 dernières années (Girls Aloud et Rachel Stevens par exemple). A suvi une tournée interminable, l'écriture d'un ballet basé sur un conte d'Andersen, puis comme à chaque fois depuis dix ans, l'attente des fans, plongés dans l'inquiétude de savoir si le groupe sortirait un jour un nouvel album.

Fin 2011, les premières informations commencent à tomber : un producteur connu pour ses collaborations avec le milieu hip-hop, Andrew Dawson, un enregistrement à Los Angeles, des ambiances plutôt mid-tempo et chill-out, ensuite un titre, Elysium. Enfin, il y a deux mois une rumeur a commencé à se répandre sur les forums spécialisés : l'album serait une digne suite à Behaviour (le quatrième album du groupe et, à ce jour, le meilleur disque de l'univers sensible). Il semblait très improbable que le disque serait à la hauteur de ces attentes, d'autant que l'idée de voir cet album produit par le producteur de Kanye West et Drake me faisait imaginer Neil la casquette à l'envers, chaîne en or autour du cou et roulant dans une décapotable sur les routes de Californie un verre de champagne à la main.....sans trop y croire certes, mais l'image s'était tout de même insidieusement imprimée dans mon esprit pétri de stéréotypes.

Enfin, dernière pièce du décor à se mettre en place, la vidéo minimaliste d'Invisible (voir plus bas), soudainement apparue sur Youtube, méthode étonnamment contemporaine de promotion de la part d'un groupe qui préfèrera toujours le CD single au "digital bundle" et Top Of The Pops à Youtube. Et je dois dire que la chanson m'avait plutôt émoustillé les papilles auriculaires : un son ample et enveloppant, une ambiance délicate et des paroles qui se révèlent petit à petit. La comparaison avec Behaviour ne semblait soudainement plus si absurde.

L'attente est dès lors devenue insupportable, jusqu'à ce qu'elle se termine et laisse la place à un long processus de découverte et d'apprivoisement.


1 - Leaving  (7,5/10)

Bizarrement présenté par beaucoup comme un des sommets de l'album et deuxième single programmé, je ne suis pas vraiment convaincu par cette chanson schizophrène. Le refrain est quelconque, voire un peu énervant (premier exemple) et fait pâle figure à côté de couplets aux petits oignons, ce qui donne au final une chanson assez déséquilibrée. Même dans les textes, ces deux parties s'assemblent difficilement, l'optimisme un peu béat du refrain se mariant mal avec les réflexions plus profondes des couplets ("The dead are still alive in memory and thought and the context they provide"). La production en revanche est charmante, par exemple l'usage des cordes, le petit pont instrumental à 2:00 ou la petite ligne de synthé rétro à 2:50.




2 - Invisible (9,5/10)

Je ne suis pas sûr que le groupe ait déjà fait une chanson soniquement aussi parfaite. L'écoute au casque est un enchantement, l'usage des échos pour les ponctuations au synthé, les mélismes en fond sonore, les voix qui se superposent, les glissandos qui accompagnent les fins de phrases. Comme dans les meilleures chansons, l'adéquation entre la musique et les textes est totale. Neil Tennant prétend que la chanson est écrite du point de vue d'une femme de 50 ans qui découvre qu'elle ne peut plus pécho en boîte, qu'elle est devenue invisible aux yeux des hommes. Personnellement, je ne peux m'empêcher d'y voir également un état des lieux actualisé de la carrière d'un groupe pop considéré du point de vue de son public-cible. Combien d'adorateurs de Lady Gaga ou Katy Perry connaissent leurs chansons, ou a fortiori, savent qu'ils viennent de sortir un nouvel album ? Quelle que soit l'interprétation choisie, cette mélodie toute en retenue, presque chuchotée, pleine de silences et de suspensions, en est une illustration parfaite. Splendide.




(la suite ici)

mercredi, août 22

Les 5 étapes de la carrière des Pet Shop Boys

1 : Les débuts
Deux pré-trentenaires se rencontrent et décident de devenir popstars, le premier est un intellectuel (the brains) rêvant de faire se rencontrer des paroles à la Dylan avec la pop-music synthétique et la disco. Le deuxième a le sens des beats musculeux (the brawn). Il y a là une occasion à saisir pour se faire beaucoup d'argent.

Step 1 (as the New Kids would have said).
Two twenty-something men meet and decide they should become popstars. The first is a writer, dreaming of marrying Dylan-like lyrics with synth-pop (the brains), the other is immersed in electronic music and love 'muscular' beats that take over your body on the dancefloor (the brawn). There are opportunities to be seized, opportunities to make lots of money.

   

2 : La phase impériale
Le succès fut au rendez-vous et le duo peut maintenant se jouer des règles, tout se permettre avec la morgue propre aux parvenus. Tout leur est permis, même de renier leurs idéaux ou se vendre pour quelques minutes de célébrité en plus.
Step 2
Success was massive and our two heroes can now do anthing they want, look down on people less lucky than them, sneer at critics whose comments can't possibly matter. The world is their oyster and they fully intend to shamelessly gorge themselves on everything fame can provide, while making sure it does not end anytime soon.


3 : A quoi bon ?
Leurs disques d'or couvrent des murs entiers. Ils ont tout vu, tout connu, tout vécu et, un jour, la crise de la quarantaine les rattrape. Et s'ils avaient raté leur vie ? Et s'il était grand temps de faire un pas de côté, de tout arrêter et de se recentrer sur les vraies valeurs. Le succès est éphémère et, une fois disparu, il n'en reste presque rien, juste un peu d'argent, des souvenirs et des regrets.

Step 3
The fruit of their labour hangs on the wall. They saw it all, experienced it all. Then unexpectedly, midlife crisis strikes. Where there was just self-satisfaction and enjoyment, there is now something missing, a purpose upon which to lead their increasingly meaningless life. Is it time to step aside? To forge more deeply rooted human connections? What if all that success was in vain? Did it even bring anything truly lasting?


4 : La lente redescente sur terre
Et pourtant, il faut bien continuer. Quelle autre solution y a-t-il ? Ils sont trop vieux pour se réinventer. Ce n'est plus aussi facile qu'à leurs débuts, mais bon, ça pourrait être pire. Il suffit de se donner des défis nouveaux (musiques de film, de ballet, album acoustique,...). Il leur reste des terrains de jeu à explorer.

Step 4
And still, they trudge on. What else is there to do? Their path has been drawn, now they have to walk it to the end. Sure, it's not as easy as it was, but also not as difficult as it could be. You just have to give yourself new targets, to stretch your creative muscle and try new things. Film music, ballet, whatever you need to still get that spark, that excitement of creation.

 

5 : Le retour à l'anonymat
C'est bien beau de se donner de nouveaux défis, de délaisser la pop pour de nouveaux genres ou formats, mais quid de leur statut de pop stars ? Que penser de cette graduelle descente de leurs disques dans les charts, de cette relégation inexorable vers le staut de vieilles gloires disparues ? Peut-on vraiment faire de la musique si presque plus personne ne l'entend ? Est-on encore une vedette quand on est devenu invisible aux yeux du grand public ? Et surtout, est-ce grave ? Un anonymat relatif n'est-il finalement pas plus confortable quand on approche de la soixantaine ?

Step 5
Still, there is no masking the truth, their pop status is fading. They are no longer the talk of the street, and more often than not, are referred to as a band of the past, coming from a different decade, a different century even, a milestone in pop history, sure, but just that, revered from afar more than enjoyed in the here and now. Their new works struggle to be heard, covered by the humdrum of current trends. But still, isn't that, at the end of it all, a fitting destiny, a nice way to getting old without appearing desperate to endlessly relive your youth? There are worse things than to be told people like your early stuff.