dimanche, août 17

Darkside, Pukkelpop, 16 août 2014


Il fut un temps, pas si lointain, où j'avais le verbe aisé et la plume alerte et où chaque festival donnait lieu à un compte-rendu kilométrique (vous en trouverez encore des traces en utilisant les tags de ce blog).

Aujourd'hui, je préfère utiliser Twitter et poster des photos prises à l'aide de mon téléphone portable, le plus souvent floues pour faire vrai (photos-vérité, sans trucage, le réel à l'état brut), d'autant que réagir en temps réel permet une interaction immédiate avec les autres festivaliers et oblige à faire court, ce qui est rarement un mal, comme le prouvera encore ce billet.

Néanmoins, je renoue avec mes anciennes habitudes pour ce concert de Darkside hier soir à 20h45 au Marquee, qui m'a tellement plu, et désarçonné, que je me sens obligé d'en parler plus longuement.

Une confidence pour commencer : alors que j'écris ces lignes, je ne sais absolument rien de Darkside. C'est un de ces groupes que je suis allé voir simplement parce que j'avais un trou dans mon planning et que la tente était idéalement placée. Je n'avais pas la moindre idée de ce que j'allais voir ou entendre.


Lorsque le concert commence, la scène est plongée dans le noir. Des arpèges de synthé se font entendre, puis quelques notes de guitare qui se développent en une sorte de long solo Knopflérien. Je suis déjà hypnotisé, sans bien savoir pourquoi. Je passerai l'heure de concert à tenter de comprendre.

Commençons l'enquête en décrivant les protagonistes sur scène. A droite, un bellâtre fait face à un synthé et quelques autres machines à manettes, voyants, leviers et/ou boutons. A gauche, un type avec la coiffure de Jean Teulé a une guitare en bandoulière et se tient devant une autre machine à l'allure vaguement synthétisiforme. à laquelle il touchera finalement assez peu.

La musique produite par le duo est difficilement descriptible et, même en cette période de pré-rentrée scolaire, je peine à coller sur elle une jolie étiquette toute faite : empruntant clairement sa trame à la techno, bifurquant par moments vers le post-punk (le bellâtre de droite chante sur certains morceaux, avec une voix qui fait irrésistiblement penser à Alan Vega) ou vers la musique psychédélique, grâce à certains longs solos de guitare.

Un tel mélange de guitares et d'électronique n'a rien de neuf (d'autant qu'en cette époque post-post-moderne, tout se mélange avec tout) mais la disposition scénique, le fait que les musiciens ne sont que deux sur scène et que chacun se cantonne dans son rôle rendent cette juxtaposition extrêmement parlante, presque programmatique. Je n'ai jamais vu un concert aussi ancré dans une opposition conceptuelle, presque un affrontement, entre deux types de musiciens et, partant, de musiques. Pourtant, cet affrontement, visuellement très fort, entre deux styles produit au final une musique extrêmement homogène.

Dans l'ensemble, le set fait plutôt dans la délicatesse et l'ornementation. On est ici  loin de la techno bourrine dont nous ont gratifié certains autres artistes présents à l'affiche du Pukkelpop cette année (Forest Swords, c'est à vous que je pense, j'ai dû partir après cinq minutes, tellement les basses étaient insoutenables). Un beat régulier en infra-basse fait bien parfois ici aussi son apparition, faisant trembler plancher, os, vêtements et bouchons d'oreille, mais presque toujours pour moins longtemps qu'on ne le croit. J'ai même une fois compté le nombre de beats, et ce n'était pas un multiple de huit, c'est dire à quel point on se situe ici dans le domaine de l'expérimentation la plus débridée.

Le bellâtre (je ne vais quand même pas aller chercher son nom sur Wikipedia alors que j'en suis déjà presque à la moitié de mon billet, ça n'en vaut plus la peine) a l'intelligence de se servir de ces sons qui font physiquement entrer le spectateur dans la musique (ou plus exactement entrer la musique dans le spectateur) mais sans en abuser, parce que ces sons ont aussi une fâcheuse tendance à couvrir tout le reste (en tout cas pour moi, parce que cela ne semble guère gêner les gens qui m'entourent).

En effet, le public, très nombreux (et criant son enthousiasme au début de certains morceaux, ce qui tend à prouver l'existence de 'tubes', soit à cause de passages à la radio, de vidéos Youtube ou d'utilisation dans des séries ou films à la mode), dodeline de la tête, marquant souvent la pulsation d'un mouvement d'épaules chaloupé, voire d'un mouvement pseudo-coïtal du bassin (le bellâtre sur scène est par ailleurs également très porté sur les mouvements pseudo-coïtaux du bassin) mais ne s'enflamme véritablement que lorsque la surpuissante pulsation de basse réapparaît, c'est-à-dire justement quand je suis forcé de décrocher parce que je perds le fil de ce que la musique raconte. Ces passages sont clairement conçus comme des sommets, mais des sommets qui me restent inaccessibles parce que la musique cesse pour moi d'exister dès qu'ils sont atteints.

NB : Ceci était le passage Calimero de mon billet... ("Cali-quoi ?" répondront mes plus jeunes lecteurs... "Eh, arrête de croire que tu as de jeunes lecteurs !", diront les autres).

J'ai donc aussi vécu ce concert comme un grand moment de solitude, réagissant à contre-temps, ou à contre-courant, des milliers de personnes qui m'entouraient, tentant d'intellectualiser ce que je ressentais, ce que je croyais ressentir ou, pis encore, ce que je pensais de ce que je ressentais, tandis que tout autour de moi, la foule vivait la musique à un niveau plus basique, réagissant aux stimuli rythmiques, sans avoir l'air de se poser de questions en totale communion avec la musique.

Pourtant, malgré cet étrange sentiment d'aliénation, j'ai passionnément aimé cette heure au Marquee. D'ailleurs, et je termine ce billet comme je l'ai commencé, par une confidence, je le maîtrisais bien aussi, ce mouvement d'épaule (et quelle chaleur dans celui-ci !). Il paraîtrait même que j'ai gentiment tapoté le plancher du talon, bien que les témoignages divergent sur ce point.



Ci-dessous : le set de Darkside au Pitchfork festival à Paris, un set auquel, à moins que vous n'ayez trafiqué votre ordinateur ou votre tablette pour frimer dans des conventions de tuning  il manquera la puissance des pulsations de basse mais qui donne une bonne idée du potentiel de fascination de la musique de Nicolas et Dave (parce que oui, ils s'appellent Nicolas et Dave...... je n'aurais pas dû aller chercher leur nom sur Wikipedia, le "bellâtre" et le "sosie de Jean Teulé" étaient des noms bien plus nimbés de mystère).