mercredi, août 24

Pukkelpop Jeudi (2ème partie)

(suite de ce billet)

Tout festival contient ses instants magiques, ces rares moments où tout s'accorde pour provoquer chez le spectateur une atmosphère de douce euphorie qu'il pourra chérir durant les longs mois d'hiver. Quels sont les ingrédients nécessaires pour que cette délicate alchimie se réalise ? En premier lieu, une bonne chanson, cela va de soi. Ensuite, un effet de surprise, le sentiment d'assister à quelque chose de rare, d'inattendu ou au contraire de désiré depuis longtemps. Enfin, le fait d'être pris dans une ambiance communicative, le sentiment de faire partie d'un public en osmose avec l'artiste présent sur scène. J'ose à peine l'écrire mais c'est sans doute au cours du concert de Fort Minor que ces trois éléments furent réunis avec le plus d'évidence. Fort Minor est le projet hip-hop de Mike Shinoda, c'est-à-dire le barbichu de Linkin Park. Or, il se fait que "notre bon gars Mike" (ainsi que nous l'avons appelé durant tout le festival) a co-écrit une chanson résolument formidable, In the end, et qu'au milieu de son concert, il en a interprété le rap, laissant au public, c'est-à-dire nous, le soin de chanter le reste. "I tried so hard and got so far... in the end it doesn't even matter..." Chester chantait par notre bouche. Il fallait sans doute y être pour comprendre mais il s'agissait d'un moment précieux dont je refuse d'avoir honte et qui était rendu encore plus jouissif par le fait qu'il était partagé par peu de monde. Il est probable que la plupart des festivaliers ne savaient pas qui était Fort Minor (dont c'était le tout premier concert sous ce nom) et que, s'ils l'avaient su, il y aurait eu nettement plus de monde au Dance Hall. Pour le reste, il s'agissait d'un concert de rap tout ce qu'il y a de plus classique (et assez moyen) avec trois MCs débitant leur texte à la mitraillette, un public martelant la pulsation en abaissant la main tendue vers l'avant, ou de gauche à droite si on le leur demandait (le public rap est très docile). Durant les 25 minutes de concert auxquelles nous avons assisté, nous avons souvent eu l'impression de n'être pas du tout à notre place, mais en y prenant un réel plaisir, ce qui est bien l'essentiel. Un jour, je verrai Linkin Park en concert.

Quand les concerts se succèdent avec une telle fréquence, il est bien difficile de leur donner à tous les mêmes chances de nous séduire. Or, il se fait que je trouve les membres de The Bravery antipathiques et leurs chansons sans intérêt. Comme j'ai rapidement vu qu'ils prenaient en plus des poses ridicules sur scène et que le chanteur était incapable de chanter juste, je suis parti bien vite me placer pour le concert très attendu de Franz Ferdinand. C'était sans aucun doute une erreur. Nous étions serrés comme des sardines, régulièrement aspergés de bière (enfin...j'espère qu'il s'agissait de bière) et le son était immonde (on n'entendait pour ainsi dire pas les voix). Dans ces conditions, le concert ne pouvait être qu'une immense déception et fut même par moments presque pénible. Je ne suis pas sûr que le groupe y puisse quoi que ce soit, d'autant que j'aime a priori plutôt bien Franz Ferdinand (autant leurs chansons que l'image qu'ils renvoient d'eux-mêmes en interview) mais la seule chose que je suis parvenu à retirer de ces trente minutes de calvaire est que Alex Kapranos commençait à ressembler à Brett Anderson (ce n'est pas un compliment, ne serait-ce que parce que ce dernier a largement dix ans de plus). Par dépit, nous avons fini par fuir pour aller assister à la fin du set de Fennesz dans un Château aux trois quarts vide, au sol jonché de spectateurs couchés, les yeux fermés, dans un état d'extase auditive (ou tout simplement endormis). Alternant entre ses machines et une guitare électrique, Fennesz empile des couches atmosphériques, presque sans rythme, qui se croisent et se répondent en formant un paysage sonore dans lequel il fait bon s'immerger. J'avais toujours eu un a priori défavorable envers Fennesz (sans doute ai-je écouté un truc qui ne m'a pas plu il y a quelques années) mais ce demi-concert fut une vraie bonne surprise et je regrette amèrement de n'avoir pas fait l'impasse sur Franz Ferdinand pour assister à l'entièreté de son set. Ca m'apprendra à ne pas mieux choisir mes hypes.

Nous enchaînons ensuite avec Polyphonic Spree. Ils sont 23 sur scène et arborent tous une robe bleu clair du plus bel effet. Il y a deux ans, j'avais fini par me laisser emporter, bien malgré moi, par le tourbillon de bons sentiments qui émanaient de leur musique. Cette fois-ci, j'ai tenu bon, soit que mon coeur de Pierre se soit endurci, soit que le groupe ait sombré dans l'auto-caricature (l'hypothèse la plus probable). Musicalement, on flirte ici dangereusement avec la musique progressive : multiplicité des instruments, morceaux qui n'en finissent pas avec des changements de rythme à répétition (qu'ils appellent sans doute les "mouvements" de leur "symphonie cosmique"), solos de harpe, etc.. Après le premier morceau (dix minutes montre en main), j'étais déjà au bord de l'écoeurement. Par contraste, les 'tubes' (Soldier Girl en tête) sont réduits à leur refrain et expédiés en une ou deux minutes. Leur musique tend ainsi vers une abstraction maximaliste qui m'a semblé nettement plus froide et prétentieuse qu'euphorisante. Comme de plus les musiciens ont une manière de surbouger qui frise l'hystérie (les mouvements des choristes étaient tellement forcés qu'ils en devenaient risibles), j'ai fini par avoir de sérieux doutes sur leur sincérité et lorsque le violoniste s'est mis à escalader les échafaudages sur les côtés de la scène pour bien nous montrer à quel point le plaisir de la musique lui faisait perdre toutes ses inhibitions, je n'ai pu m'empêcher de visualiser la réunion de travail où, quelques semaines auparavant, Gourou Tim avait forcé tous ses disciples à apprendre par coeur les mouvements par lesquels ils allaient devoir exprimer spontanément leur joie de jouer en sa compagnie.J'ai trouvé qu'un des membres du choeur avait l'air un peu amorphe pendant le concert, Tim l'a sans doute mis au cachot pendant une semaine.

La soirée se poursuit par une de mes toutes bonnes surprises du festival, le concert d'Amplifier qui avait bizarrement été choisi pour clôturer ce premier jour de festival sur la Skate Stage ("c'est un honneur" diront-ils). Le groupe vient de Leeds et se compose d'un guitariste-chanteur, d'un bassiste et d'un batteur. Comme souvent sur la Skate-Stage, la musique ne brille pas par sa délicatesse ou son sens de l'allusion subtile. Il s'agit d'un bon gros rock qui fait du bruit et n'en éprouve nulle honte. Le concert commence plutôt bien et finit encore mieux en nous terrassant avec une triplette de morceaux imparables (dont Airborne et l'inépuisable One great summer). Comme souvent, la raison pour laquelle j'aime autant est sans doute l'importance accordée à la belle voix grave du chanteur et à la mélodie, dans un genre où ces deux points reçoivent rarement l'attention qu'ils méritent. En tout état de cause, ce concert était exactement ce que je recherchais à ce moment de la soirée. Ce n'était apparemment pas le cas de tout le monde car le public a été complètement inerte durant tout le concert, sans doute découragé par l'interdiction du crowdsurfing, rappelée toutes les 45 seconces environ sur les écrans lumineux. Il va vraiment falloir que je réécoute l'album, qui m'avait déçu à la première écoute.

J'enchaîne avec le concert de Bonnie 'prince' Billy & Matt Sweeney. C'est la première fois que j'ai l'occasion de voir Will Oldham en chair et en os et le moins que l'on puisse dire est que ça vaut le coup d'oeil. Chemise noire, short noir qui lui remonte mi-cuisse. Sa barbe est légèrement moins fournie que sur les pochettes de ses albums mais pourrait encore abriter une famille de colibris en cas de froid persistant. Sa gestuelle m'a souvent semblé relever d'une excentricité qui flirte avec le symptôme psychiatrique. Freud aurait sûrement conclu que ses lents mouvements du bassin trahissent un cruel manque affectif et que ses mouvements de jambe sont la manifestation d'un Oedipe mal résolu (imaginez une strip-teaseuse derrière un rideau rouge, ne montrant au public que sa jambe, du genou au pied et la balançant de gauche à droite pour aguicher le spectateur, puis remplacez la stripteaseuse par Will Oldham et vous aurez une bonne idée de la chose). Dommage qu'avec un visuel aussi divertissant, la musique ne soit pas tout à fait à la hauteur. Les versions des chansons m'ont semblé inutilement alourdies pour la scène. A-t-on vraiment besoin de 5 musiciens et trois guitaristes pour jouer les (très bonnes) chansons du dernier album ? Sans doute pas. Heureusement que cette orchestration lourdingue n'a pas complètement recouvert sa voix, toujours aussi impressionnante. Cela dit, ce fut une relative déception et nous partîmes sans regrets voir la fin du set d'Adam Green au Club. Sans doute à cause du vague souvenir qu'il me reste des Moldy Peaches, je m'attendais à entendre quelques chansons mal foutues chantées comme il le peut par un type un peu gauche. Grossière erreur. Adam a une belle voix grave parfaitement maîtrisée, il parcourt la scène avec l'assurance de celui qui a fait ça toute sa vie et ses chansons sont des petites merveilles pop, ciselées avec soin et teriblement accrocheuses. On est très loin de la lo-fi maladroite de son premier groupe, dont il n'a gardé que le sens du titre (Choked on a cock) et des paroles (Jessica, No Legs, etc.). Je pars à la recherche des albums de ce pas, je devrais selon toute probabilité adorer ça.

Vient alors le moment de rentrer à la maison en écoutant de loin le début du set de The Prodigy, qui semblait aussi pitoyable que le souvenir que j'avais de leur musique. Un rappeur hurlait en permanence au-dessus de la musique et rendait méconnaissable même ce qui me semblait pourtant être les tubes. De Firestarter par exemple, je n'entendais que la trame instrumentale recouverte par un jet continu de "Come on" hurlés à tort et à travers. C'était franchement pénible et nous sommes partis sans demander notre reste.

La suite ici.

3 commentaires:

michelsardou a dit…

Salaud!

Pierre a dit…

Désolé. Mais c'est fini, je n'en parlerai plus. :)

Anonyme a dit…

j'aime bien.