Que faut-il pour vivre un bon concert pop-rock ?
- De la curiosité d'abord. L'envie de voir le groupe interagir sur scène, de le voir (re)créer sa musique. Par certains points, pour moi voir un groupe sur scène, c'est regarder les bonus sur un DVD. J'ai tendance à considérer le disque comme le produit ultime, et le concert est l'occasion de voir les créateurs du disque d'un peu plus près. Je ne considère pas, comme certains, que le concert est le lieu où un groupe se révèle réellement. Cela reste pour moi l'apanage du disque.
- Des bonnes chansons ensuite et de préférence des chansons que je connais bien. J'apprécie toujours plus un concert lorsque je me sens en terrain familier. Et si on peut chantonner en choeur, c'est encore mieux.
- Du spectacle ensuite, de quoi occuper les yeux. Lumières, projections, décors tout d'abord. Le groupe lui-même ensuite. Leur manière de chanter, de bouger, de se déplacer sur scène, etc...
- Une interaction avec le groupe enfin, si possible sincère et spontanée, ou en tout cas qui donne l'impression au public de partager quelque chose avec les musiciens.
Ce soir-là, les quatre conditions furent remplies, d'où un concert quasi-parfait.
Etais-je curieux de les voir ? Certainement. Les Nits étaient l'un des derniers groupes réellement importants dans mon éducation musicale et que je n'avais jamais vus en concert (avec les Cocteau Twins et Brian Eno peut-être). J'attendais donc beaucoup de ce concert et, miracle !, pour une fois, mes attentes les plus déraisonnables ont été rencontrées. J'ai enfin vu Henk Hofstede chanter (on ne dira jamais assez de bien de sa voix), Robert Jan Stips jouer les enluminures de Nescio ou Rob Kloet habiller Fire in my head de quelques coups de cymbales. Le public était assez âgé et plutôt BCBG comme on pouvait s'y attendre, avec notamment à mes côtés toute une famille francophone pour laquelle les Nits semblent être une institution (des enfants de 10 ans semblaient connaître toutes les chansons par coeur).
Pour ce qui est des chansons, pas de soucis, les Nits sont des maîtres. Ils sont devenus depuis longtemps pour moi synonymes de 'chansons pop parfaites' (registered trademark), qu'ils produisent à la chaîne, sans effort apparent : mélodies imparables, richesses des arrangements et de l'instrumentation, incroyable diversité de styles, de sons et d'ambiances. Il me semble que les Nits sont, d'assez loin (avec Radiohead serais-je tenté de dire), le groupe musicalement le plus doué que je connaisse. Qu'ils n'aient jamais dépassé le stade de groupe culte restera toujours pour moi un impénétrable mystère.
Ils sont rares les concerts où toutes les chansons sont immédiatement reconnaissables, où presque chaque intro est l'occasion d'arborer un sourire un peu plus large. Ce fut le cas ce soir-là. De Nescio à Fire in my head, de A Touch of Henry Moore à Adieu Sweet Bahnhof, de Woman Cactus à In The Dutch Mountains. Plus incroyable encore, ce fut aussi le cas des nouvelles chansons, alors que je n'avais pourtant écouté que 4 ou 5 fois l'album avant le concert, preuve s'il en est que, avec 1974, les Nits se sont remis à composer des chansons tellement évidentes qu'elles sont immédiatement reconnaissables (Wool n'est pas un mauvais album mais il lui manque le côté festif que j'associe spontanément aux Nits). Que malgré cela je puisse encore regretter l'absence de certaines chansons (un seul extrait de Ting fut joué notamment) témoigne de la richesse de leur répertoire, richesse que même un concert de 2h10 ne peut épuiser.
Ils étaient quatre sur scène. Au centre, Henk Hofstede, le chanteur, très chic, costume beige. A gauche, Robert Jan Stips, derrière ses claviers, avec un look un peu Deschiens : pantalon rouge avec une curieuse floche sur le côté, chaussures rouges (mais pas exactement le même rouge, ce serait trop simple), tee-shirt gris. A droite, Rob Kloet caché derrière ses percus. Soit le noyau dur des Nits enfin reconstitué avec le retour après un peu moins de 10 ans d'absence de Stips. Au fond, la petite nouvelle, Laetitia Von Krieken (ou était-ce Arwen Linnemann, comme écrit sur mes notes, je suis perplexe) : claviers, métallophones, choeurs,...
Le décor était assez simple. Des lampes de chevet blanches posées à même le sol, par petits tas de 2 à 5 s'allumaient et s'éteignaient en rythme. Le fond de la scène était occupé par une vingtaine de petits écrans rectangulaires blancs. Sur chacun de ses écrans, une image différente formant pour chaque chanson une mosaïque symbolisant la chanson en train d'être jouée : des bicyclettes pour Bike in head, des poissons pour Aquarium, des timbres pour In the Dutch Mountains, des scouts pour JOS days, etc..
Il y a un côté ludique dans la manière dont les Nits envisagent la scène. Robert Jan Stips refusant par exemple de laisser les mountains céder la place aux buildings à la fin de In the Dutch Mountains (comprenne qui pourra), les jeux d'échos entre musiciens ou l'utilisation de reniflements dans certaines chansons pour donner quelques exemples. J'ai ri à plusieurs reprises. Il y eut aussi des moments de suspension poétique qui laissent pantois, notamment (et c'est un vrai spoiler), une pluie de petits cailloux improvisant un solo de percussions à la fin d'une des chansons.
Le plus frappant est sans doute leur joie de jouer. Ils sourient, se lancent des regards en coin, et se marrent en permanence. Henk Hofstede et Robert Jan Stips 'surbougent', jouent aux rock-stars. HH parvient même, dans son enthousiasme, à casser deux cordes de sa guitare acoustique en quinze secondes. La complicité qui les unit est évidente et le fait que la seule chanson que Stips chante pour son retour sur scène avec le groupe s'appelle Welcome back n'est sans doute pas un hasard.
Henk Hofstede interagit souvent avec le public, en français, en anglais et en néérlandais. Au début, au fait des arcanes de la politique belge, il tentera de tout dire en français et en néérlandais, avec quelques mots d'anglais par-dessus. Malheureusement, le public flamand était nombreux et il se lancera dans quelques longs discours en néérlandais auxquels je n'ai pas compris grand-chose. Surnagent donc quelques petites phrases surréalistes : "Wilfried Martens a une tête de porc", "un lapin du Nord est venu manger mon herbe verte", et une communauté des USA qui avait tellement renoncé au confort moderne "qu'elle ne connaissait même pas Justin Timberlake").
Tous ces éléments ont fait de ce concert une véritable expérience de communion entre le public et le groupe. Aussi cliché que cela puisse paraître depuis que des images de concert de Patrick Bruel sont venus nous polluer l'esprit, il y a peu de choses plus grisantes pour des spectateurs que de chanter en choeur une chanson tandis que le groupe regarde. Ca ne m'est pas arrivé souvent. 'Adieu Sweet Bahnhof' ce soir, et 'The living daylights' il y a un an sont les seuls exemples qui me viennent à l'esprit. Certes, les rappels étaient tous prévus et donc sans doute n'avons-nous rien vécu d'unique, mais tout le talent du groupe est de nous l'avoir fait croire.
Etait-ce le plus beau concert de ma vie ? Peut-être. Je ne suis en tout cas jamais sorti d'une salle à ce point euphorique. Pour couronner le tout, mon train est arrivé en retard juste ce qu'il faut pour que je puisse l'attraper. Seul petit point noir, j'étais fauché et n'ai donc pas pu m'acheter un joli tee-shirt '1974'. Ceci dit, ils reviennent faire des concerts en Belgique en 2004 et ça me donnera une formidable excuse pour retourner les voir.
Setlist :
Boy in a tree
The train
Bike in head
The dream
Aquarium
Sketches of Spain
The House
Doppelganger
Savoy
Nescio
A Touch of Henry Moore
Espresso Girl
The Infinite Shoeblack
Fire in my head
Eifersucht
The Bauhaus Chair
Welcome back
Rumspringa
In the Dutch Mountains
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Sugar River
Woman Cactus
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Rappel acoustique d'abord (guitare, poisson et duo d'accordéons) :
Adieu Sweet Bahnhof
Crime and Punishment
puis
Home before dark
J.O.S days
Giant Normal Dwarf