jeudi, mars 25

Elbow, Ancienne Belgique, 24 mars 2004

Mon marathon de concerts continuait mercredi avec Elbow. J'ai reçu une assez mauvaise nouvelle en fin d'après-midi, donc j'avais donc un peu peur de passer un peu à côté de mon concert. L'année dernière déjà, j'étais allé voir les Doves dans des conditions similaires, et le concert m'avait assommé. Même genre de groupes (british à barbes pour aller vite), même conditions. A tous les coups, ça allait être un désastre. Et bien non.

La salle est encore aux deux tiers vide lorsque commence la première partie : This beautiful mess, un groupe flamand apparemment. Un guitariste et un batteur dont je n'ai gardé aucun souvenir, un bassiste qui cultive très fort sa ressemblance avec Jeff Buckley (avec un certain succès), un chanteur frisé qui surbouge comme un Julian Cope qui tenterait d'imiter Iggy Pop (ou le contraire) et une claviériste, petite blonde qui n'a pas l'air d'avoir 20 ans, trônant au milieu de la scène, malgré un rôle essentiellement d'accompagnatrice (elle chante sur un titre seulement, et le son du clavier est le plus souvent couvert). Je sens bien le plan marketing foireux du style "Toi, ma poulette, tu vas venir frontstage et ta jolie frimousse va nous faire vendre des disques." Et pourquoi pas après tout ? D'autant que s'ils doivent baser leurs espoirs uniquement sur la musique, je ne suis pas sûr qu'ils iront très loin. Leur musique est sympathique pourtant : des mélodies accrocheuses, des morceaux ambitieux dans la construction avec des changements de rythmes, des ponts venant rompre la monotonie couplet-refrain, etc... mais ça ne prend jamais vraiment. Le tout laisse une impression bizarre. Ca n'a pas l'air très original et j'ai l'impression d'avoir déjà entendu ça cent fois et pourtant je ne suis pas parvenu à trouver un seul point de comparaison convaincant. Peut-être est-ce parce qu'aucun groupe n'est jamais parvenu à trouver la gloire en faisant ce genre de musique, compétente mais un peu impersonnelle... C'est injuste parce que les chansons méritent mieux que l'oubli programmé dont elles hériteront sans doute.

La salle se remplit peu à peu pendant la demi-heure d'interruption pendant laquelle j'observe avec amusement une roadie hyperactive pendant l'installation du matos. Je n'ai jamais vu personne travailler aussi vite. A première vue, l'ordre dans lequel elle effectue ses tâches a l'air absurde et pas du tout optimisé. Pourtant, je suis sûr que dans sa tête tout était limpide. Chapeau. Elle sera tout aussi impressionnante lorsque le guitariste aura des problèmes où lorsqu'une bouteille d'eau se renversera sur les fils du micro.

Dans le public, beaucoup de gens seuls (pas très étonnant vu la musique du groupe) et un fort contingent d'Anglais venus exprès d'Angleterre pour le concert. Je ne me souviens pas avoir vu beaucoup de concerts où les premiers rangs étaient ainsi squattés par des non-belges. Elbow, groupe culte ?

Il y a du monde sur scène. Un guitariste bien en chair à l'extrême-droite de la scène. Un claviériste tout aussi rebondi au fond à gauche (le frère du précédent si j'ai bien tout compris). Un batteur au fond à droite. Le chanteur-guitariste Guy Garvey au centre. Un bassiste rasta en chaussettes à gauche (c'est pas si fréquent de trouver des noirs dans des groupes aussi clairement indés en Angleterre, si ?). Deux choristes-violonistes, centre-gauche au fond, derrière la batterie et les claviers.

Le concert est formidable. L'interaction entre les musiciens est un bonheur à regarder, ils se parlent à l'oreille en riant, ils se font des blagues (organiser de vrais-faux départs les amusent beaucoup apparemment), etc.. Il semble y avoir encore chez le groupe un grand plaisir à jouer. Guy Garvey parle souvent entre les morceaux. Il évoque leur précédent concert à l'AB (dont ils gardent apparemment un très bon souvenir), apostrophe le public ("How are you? I should ask as we don't see each other so often."), pratique un auto-dérision contrôlée (devant le silence de la salle, "All this attention and I'm just talking shit") ou dédie une chanson au Gouverneur de Californie en nous gratifiant de deux citations (de mémoire, "Yes I have a wonderful body but it doesn't mean I'm a fag" et "When I took that job, I didn't think it would be that difficult".)

Les chansons sont longues (13 titres pour 90 minutes) souvent assez lentes, presque neurasthéniques. Elles prennent le temps de dire ce qu'elles ont à dire, de s'installer mais pourtant, elles ne se distendent jamais et continuent à paraître compactes et resserrées sur l'essentiel. De même, les morceaux semblent en porte-à-faux avec le plaisir qu'ils prennent à les jouer, plaisir dont témoigne le demi-sourire qu'ils arborent presque tous. Cela participe de ce sentiment indéfinissable que génère Elbow, du paradoxe sur lequel le groupe se fonde. Sous les apparences de la plus grande déprime, on sent du bonheur. Ils donnent l'impression à première vue ou à première écoute d'être résignés, misérables, d'avoir démissionné de leur vie, et
pourtant leur musique génère de la joie, de l'apaisement tout en encourageant l'auditeur à ne pas se laisser faire et à défier le monde. "We all believe in love so fuck you" sera d'ailleurs la dernière phrase du concert. Cette dualité se retrouve aussi dans la voix de Guy Garvey qui fait un peu penser à celle de Peter Gabriel. Similairement voilée par un léger souffle, elle semble venir de très loin, d'un autre monde presque, un monde où aucun problème n'est insurmontable, ou rien n'est si grave qu'on ne peut le contempler en souriant avant de repartir.

Je ne suis pas sûr de bien me faire comprendre. Ca fait plusieurs mois que j'essaye d'exprimer ce que m'évoque la musique d'Elbow, de le comprendre moi-même et je n'y arrive pas. Le plus amusant, sans doute, est que ce sentiment que je parviens pas à exprimer est encore plus présent après le concert. Je n'ai toujours pas de mots pour le dire, mais je le ressens encore plus clairement qu'avant.

Setlist Brussels AB 24.03.04

Ribcage
Fallen Angel
Red
Snooks
Bitten by the tailfly
Coming second
I've got your number
Fugitive motel
Scattered black and whites
Newborn
--------
Switching off
Any day now
Grace under pressure

Une fin de concert parfaite puisque ces deux dernières chansons sont à mon avis les meilleures du groupe. La seule déception sera que le public, qui semblait pourtant contenir bon nombre de fans, n'a pas repris en choeur le fameux "We all believe in love so fuck you" qui, sur l'album, était chanté en choeur par le public de Glastonbury. Ce n'est pas très grave. J'ai chanté tout seul. C'était le printemps. J'étais heureux.

Merci à Samarys.

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