A l'occasion de la remise des titres de docteurs Honoris Causa de l'Université de Liège, des musiciens d'horizons divers étaient réunis ce matin à la Salle Académique pour débattre du thème général de "Passeurs de musiques" (joliment traduit en anglais par 'Music's ferrymen'). Etaient présents : Anthony Braxton, Arvo Pärt, Dick Annegarn, Robert Wyatt, Frederic Rzewski. Soit deux dont je connais bien l'oeuvre, un dont j'ai entendu des bribes et deux dont je ne savais rien (je vous laisse deviner lesquels).
J'étais assez impatient de voir comment des créateurs venant de domaines aussi différents allaient pouvoir interagir et se rencontrer : un jazzman fan de musique contemporaine (et dont le fils est membre de Battles), un rockeur prog reconverti en délicat orfèvre de jazz-pop, un compositeur contemplatif slave tendance mystique, un créateur de chansons, un pianiste militant, etc... Avaient-ils vraiment des choses à se dire et à échanger ?
Globalement, la réponse est oui, même si cela n'a pas été sans mal. Le modérateur avait tendance à poser des questions très théoriques et abstraites qui semblaient devoir dans un premier temps enfermer le débat dans des querelles de chapelles (pour tout dire, la première intervention d'Arvo Pärt a été de dire "Vous n'avez pas une question plus simple ?").
Le débat a tout d'abord tourné autour de la différence (si elle existe) entre composition et improvisation. Pour le commun des mortels, la réponse semble devoir a priori être oui, mais au fur et à mesure des échanges des notions séduisantes pour le béotien que je suis apparaissent et me font réfléchir : la notion d'improvisation comme "real-time composition", comme respect d'un ensemble de codes finalement assez stricts, la composition comme exercice de mémoire, de planification, etc... Evidemment, chaque musicien défendait son pré carré. Arvo Pärt est ainsi plus rétif à l'improvisation ("Une soupe très liquide") qu'Anthony Braxton.
La seconde moitié du débat a surtout tourné autour de la question : la musique est-elle politique ? Comme souvent, le débat n'est pas tant un débat d'idées qu'un débat lexical. Certains prennent le mot musique en son sens le plus étroit, c'est-à-dire un assemblage de notes et de sons et en déduisent qu'évidemment, la musique n'est pas et ne peut jamais être politique (Dick Annegarn : "une tierce mineure est-elle de gauche ou de droite ?"). D'autres dans le public considèrent que le terme musique contient aussi les paroles de chansons et évoquent les guerilleros sandinistes qui ont créé des chansons sur le montage et l'utilisation de certains fusils ou évoquent le cas des compositeurs soviétiques obligés de créer des symphonies joyeuses et proches du peuple s'ils voulaient les voir jouées par les orchestres d'Etat, etc.. Personnellement, je trouve ce genre de questions le plus souvent creux et stérile (comment débattre de ces questions si on ne se met pas d'accord avant tout sur le sens des mots "musique" et "politique"). Cela dit, en écoutant tout ce beau monde deviser gaiment, il m'est venu une ébauche de théorie sur la politique comme "étude et évolution des rapports de pouvoir entre différents groupes sociaux, culturels et économiques", définition qui, si on l'accepte, entrapine que l'incorporation dans la musique savante ou au contraire populaire d'idées, de motifs venant d'horizons divers peut devenir dans certains milieux et à certaines époques un acte politique.
Pour finir, après une petite séquence hagiographique sur le viking SDF Moondog, chaque intervenant a donné quelques informations sur sa manière de composer. Robert Wyatt fonctionne beaucoup sur l'empilement d'ébauches sur bandes qu'il doit ensuite, lorsqu'une certaine harmonie semble apparaître dans la masse ainsi produite, éditer et organiser sous formes de chansons. Arvo Pärt fonctionne par illumination, cherchant à faire le vide en lui, jusqu'à ce qu'une étincelle surgisse, sans qu'il sache exactement comment ou pourquoi, etc.
Voilà un rapide résumé de ce dont je me souviens (je n'ai rien noté donc j'ai déjà sans doute beaucoup oublié). Dans l'ensemble, ce fut plutôt agréable à suivre, même si rien de transcendant n'en est sorti. Je regrette juste qu'il n'y ait pas eu plus de discussions autour de l'opposition entre musiques savantes et populaires, un thème qui m'a évidemment toujours passionné et sur lequel la majorité des intervenants présents ici auraient sans doute eu beaucoup à dire.
Prochaine étape : le concert de ce soir, où la rumeur veut que Robert Wyatt pousse la chansonnette. J'attends ça avec impatience.
2 commentaires:
Quelques photos de cet instant prises par Alfreda Benge. Au cas où...
Merci. Je ne les avais pas vues.
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