- Dites, les gars, ça fait un petit temps qu'on n'a plus eu de
hits... Et si on faisait une chanson avec un refrain qui ressemble aux
Sparks (esprit crédibilité, cœur de cible post-30, weird-pop,
higher-educated). On ajouterait des backing vocals en imitant la voix de
Morten Harket (esprit Madeleine Proust, post-30 European female). Ca
commencerait par un sifflotement (esprit Vent du Changement,
post-réunification, nostalgie conscientisée, Kohl sur les yeux). Enfin,
pour ne pas oublier les plus jeunes, qui représentent selon le dernier
sondage Facebook, 19,25% de nos fans, on mettra une grosse rythmique
dance à la con derrière tout du long, histoire de ne dépayser personne.
-
Cool. Y a que toi Marian, pour avoir des idées comme ça. T'es trop
fort. C'est comme ce nom de groupe. Tu as vraiment vu ce film en noir et
blanc ? J'ai essayé. J'ai compris que dalle. T'es un putain de génie,
mec !
- Merci, merci.... Bon, ce petit melting-pot m'a l'air très
bien. J'ai un bon pressentiment. Cela dit, faut pas que ça sonne trop
groupe sur le retour qui pleure après son succès passé et qui est prêt à
toutes les compromissions pour le retrouver. On n'est pas Modern
Talking. On donnera à la chanson un titre ironique, comme quoi ce n'est
pas aussi putassier que ça en a l'air. On pourrait l'appeler Discreet ou
Understated, un titre qui fleure bon la modestie.
- J'ai encore une meilleure idée tiens. On va l'appeler Song For No One.
-
Ah ouais. Pas mal. Le message est là. Non, on ne court pas après le
tube. Mais personne c'est pas grand monde. Ne risque-t-on pas de penser
qu'on ne croit pas à notre chanson, qu'on en a honte ?
- Pas faux,
il faut quand même que les gens comprennent qu'on l'aime plutôt bien
cette chanson, sinon ils vont partir avec l'impression que c'est nul, et
ce serait un épouvantable gâchis d'aromates Sparksiens et d'ersatz
vocal Mortenesque... On pourrait ajouter (But Myself) entre parenthèses.
Ça sonne bien. Song For No One (But Myself), genre on a écrit une
petite chanson entre nous, on l'aime bien, on vous la fait écouter par
pure gentillesse. Si on pouvait vous la donner gratuitement et pas la
vendre ce serait aussi bien. Pensez donc, une si petite chose... mais
vous connaissez la situation : ces labels à l'agonie, ces magasins de
disques en ligne ou en dur, avec leurs dents longues et leurs
actionnaires assoiffés de millions, ils veulent tous se sucrer au
passage. Il faut bien financer le processus. Donc on vous la vend, pas
cher....enfin au prix habituel, mais n'oubliez pas que, au départ,
c'était vraiment écrit juste pour nous, parce que, écrire des chanson
entre nous, c'est notre truc. On est des artistes.....Allez, vendu. Parlons branding à présent. Est-ce que tous ces
mélanges seront encore identifiables comme une chanson d'Alphaville ? Il
ne faudrait pas que les gens ne sachent pas quel disque demander une
fois dans le magasin. Faut quand même que ça sonne comme nous, hein ?
-
Rassure-toi, m'fi, je chante toujours pareil, on me reconnaît tout de
suite. Ma voix est toujours jeune et sonne comme une mélodie.
-
Évidemment. Tu es le Pavarotti de l'électro-pop, je l'ai toujours
dit.....Hé, mais c'est des titres à nous, ça. C'est fou, non ? Tu veux
dire que tous nos tubes avaient une valeur prédictive ? Attends, je les
passe en revue....... Pas sûr que nous ayons été si énormes que ça au
Japon, si ?
- J'avais dit gros, pas énorme. Apprends l'anglais.
Trois disques d'or. C'est gros, non ? Cela dit, dommage que l'on ne se
connaissait pas ce pouvoir d'oracle à l'époque. On aurait pu écrire
plein de singles formidables : Masters of The Universe, Filthy Rich,
Dating Models, ou Peace on Earth. En fait, tout est parti en couilles,
quand on a sorti Universal Daddy.. Je n'osais plus aller en boîte. Tous
ces types louches en Pampers qui venaient me trouver en pleurant.
C'était horrible.
- Allez courage, Marian. On est reparti du bon pied, là. Tu vas voir.
EDIT : Au final, n°50 en Allemagne, inconnu partout ailleurs. Bien ouéj, les gars.
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