samedi, juillet 8

Pet Shop Boys - Hotspot (II)

(lire le début de la chronique ici)

6) I Don’t Wanna (6)

Une chanson sur un homme qui préfère rester chez lui plutôt que d’aller danser en boîte. Cela devrait a priori me parler mais en fait, non. Si on excepte un riff démoniaque de synthé durant le refrain, truffé d’intervalles tellement biscornus qu’il en est rigoureusement inchantable, on n’a pas ici grand-chose à se mettre dans l’oreille. Comme souvent, le fait qu’il s’agit d’une des plus mauvaises chansons de l’album découle de manière limpide de leur décision d'en faire un des singles de l'album. J’aime bien la citation de Snap! cela dit, on ne cite pas assez Snap! dans les années 2020.

 

7) Monkey Business (6)

En quarante ans de carrière, les Pet Shop Boys ont développé un art de la face B que bien d’autres artistes pourraient leur envier, leurs faces B étant souvent au moins aussi intéressantes que les singles qu’elles accompagnaient. Monkey Business sonne en plein comme une face B, mais malheureusement comme leurs faces B les moins intéressantes, celles de la fin des années 90/début des années 2000, où un vague riff, un motif de synthé pince-sans-rire est étiré sur trois ou quatre minutes « for the lolz ». Si on ajoute par ailleurs qu’une règle non-écrite veut que les Pet Shop Boys n’utilisent des chœurs féminins que sur leurs plus mauvaises chansons, quand ils essayent de faire de la haousse musique (cfr Before), on comprendra que cette chanson (un single aussi, ce qui est somme toute assez logique) ne fait pas partie de la veine des Pet Shop Boys que je préfère. La chanson menace de décoller légèrement à deux ou trois reprises (quand Neil énumère des alcools par exemple) mais le soufflé retombe assez vite. C’est d’autant plus frustrant que je sens confusément en arrière-plan une chanson intéressante tentant de s’extraire de sa gangue disco-house.

 

8) Only The Dark (5)

Et ceci, mesdames et messieurs, est le moment où l’album tombe dans la mièvrerie et la guimauve. Paroles ineptes, mélodie anémique, rythmique irritante. Ce faux-pas est d’autant moins pardonnable que la chanson est construite comme un assemblage de fragments extraits de morceaux qui sont tous sensiblement meilleurs. Il y a d’abord un petit côté Richard Sanderson au tout début, que je ne m’explique pas bien, puis, sans doute pour éviter des procès pour plagiat, la chanson verse dans l’auto-parodie. Quelque chose dans l’atmosphère générale du morceau me rappelle en effet Luna Park mais, surtout, on retrouve dans le refrain des auto-citations assez grossières de Miracles (deux titres que j’ai incidemment déjà mentionnés auparavant dans cette chronique, signe qu’ils m’obsèdent ou qu’ils ont trotté dans un coin de la tête de Neil et de Chris lors de l’écriture de cet album). Avec de telles références, on aurait pu logiquement s’attendre à mieux que ce gros loukoum dégoulinant... Et là, mes rares lecteurs de se demander si je voue vraiment un culte à Richard Sanderson. Il faut savoir cultiver ses zones d'ombre !

 

9) Burning The Heather (8)

Ce morceau renoue avec une des veines de leur répertoire que je préfère, celle où ils flirtent avec l’acoustique. Johnny Marr ayant sans doute envoyé un mot d’excuse dûment signé par son médecin traitant, c’est Bernard Butler qui vient ici gratouiller sa guitare en fond sonore. On trouve également de-ci de-là un solo de trompette (possiblement synthétique), de la guitare wah-wah et des clochettes. Que demander de plus (comme le disait John Peel) ? Je pense qu’il s’agit de la chanson la plus champêtre qu’ils aient jamais écrite : une ode à l’errance campagnarde, entre bruyère et chiens de berger. Pour un peu, on pourrait se croire dans une chanson traditionnelle irlandaise, jusqu’à la possibilité finale d’une sédentarisation apaisée. La manière dont la chanson se termine abruptement sur un couplet me plaît bien aussi, c’est plutôt rare dans leur catalogue…. mais je déduis un demi-point pour les fautes de grammaire : "If you’ve enough room" (non mais quelle horreur !). On pourrait aussi légitimement se demander si la chanson n’est pas un chouïa trop longue. 5 minutes 20, c’est tout de même un peu beaucoup. Il eût sans doute été judicieux de supprimer un des cinq couplets.

 

10) Wedding in Berlin (2)

Le tropisme berlinois de cet album trouve ici son “apothéose” avec une chanson résolument navrante et éhontément consternante.  De la techno de bas étage, que même Lagaf’ n’aurait pas voulu trouver dans son lavabo (ou dans son bidet), entrecoupée de citations très premier degré de la Marche Nuptiale de Mendelssohn, le tout sur des paroles répétitives et absolument dénuées de toute signification. Un des nadirs de leur carrière, à n’en pas douter, et peut-être une des raisons pour lesquelles cet album fut si mal accueilli par une frange importante de leurs fans.

 

 

Tous comptes faits, j’en arrive à un score moyen de 6,5/10 pour l’album, ce qui est effectivement un peu moins que pour Electric et nettement moins que pour Super. Réduire l’album à ce score global ne serait cependant pas lui rendre tout à fait justice. Hotspot présente en effet également des aspects assez réjouissants, qui augurent de bonnes surprises futures. On y trouve par exemple des textes plus complexes et élaborés que ceux dont Neil s’était contenté depuis une bonne dizaine d’années. Il y renoue, souvent avec un certain bonheur, avec la narration. Une bonne moitié des chansons racontent des histoires tenues, dans lesquelles il est possible de se projeter (paroles narratives dont Being Boring constitue évidemment l’exemple-type). Par ailleurs, l’album est plutôt bien produit, grâce une nouvelle fois à Stuart Price qui signe ici le dernier volet de la trilogie d’albums qu’il avait prévu d’enregistrer avec le groupe, même s'il faut parfois mettre le casque pour profiter pleinement de tous ces détails qui enrichissent le son de l’album. Pas un chef-d'œuvre donc mais pas la bouse annoncée non plus, juste un album moyen qui vient marquer la fin d’une époque et la possibilité d’un renouveau.

Pet Shop Boys - Hotspot (I)

 Un célèbre slogan, auquel je souscris pleinement, résonne comme un vibrant appel aux armes : “Procrastinateurs de tous les pays, unissez-vous demain ! ». Et c’est donc avec trois bonnes années de retard, alors que l’enregistrement d’un nouvel opus a déjà débuté, qu’arrive ma chronique du dernier album des Pet Shop Boys. Par son caractère tardif, elle acquiert un statut un peu paradoxal. En effet, Hotspot a été assez fraîchement reçu par de nombreux fans. On a vu des fans de 30 ans qualifier cet album de "bouse" ou de "sombre merde" (si ! si ! ne niez pas, j’ai les noms !). Mes deux ou trois premières écoutes à l’époque de la sortie de l’album (début 2020 quand même) m’avait laissé un sentiment mitigé, sans que cela ait en soi la moindre signification. J’ai en effet une fâcheuse tendance à ne me faire une opinion tranchée sur un album qu’après cinq ou six écoutes. Je suis donc tenu ici de prendre position dans un débat qui est pour beaucoup déjà tranché. Cela influencera-t-il mon jugement d’une manière ou d’une autre ? Succomberai-je au plaisir de hurler avec la meute ou voudrai-je faire valoir ma farouche indépendance ? Honnêtement, je n’en sais rien. Découvrons-le ensemble. Le suspense est insoutenable.


1) Will-O-The-Wisp  (8)

Ça part plutôt bien, avec ce que Popjustice aurait appelé un « banger ». A du 120 bpm, Neil évoque l’apparition fugace dans un train du métro berlinois, imaginaire ou réelle je n’en sais rien, d’un ancien ami/amant qui, dans sa jeunesse était un « feu follet », sans attache, imprévisible et dont il se demande s’il s’est rangé, s’il a maintenant une femme, un boulot dans l’administration locale et un bail de location longue durée pour son appartement cinq pièces. Musicalement, cela ne révolutionne rien, mais la chanson passe avec bonheur de l’euphorie que lui inspirent ces réminiscences du passé (le refrain) et la nostalgie que provoque nécessairement ce recul de plusieurs (dizaines de ?) années (voir le passage parlé du deuxième couplet…. quand Neil parle dans une chanson, j’ai toujours envie de sortir les mouchoirs, au cas où). Un début prometteur.


2) You Are The One (7,5)

Sur Nightlife, on trouvait The Only One, une chanson où Neil jouait l’amant transi voulant être rassuré (“Am I the only one?”). Ma première écoute de ce morceau m’avait donné l’impression que ce morceau en était la suite désenchantée. J’avais en effet compris que le refrain disait ”You Are The One, I Was The One”, formule lapidaire dont j’appréciais la concision et l’expressivité. Las, les paroles données sur le site officiel sont "You are the one I want, the one", ce qui est d’une coupable platitude, que les pépiements d’oiseaux qui ouvrent le morceau ne font que souligner. Ici aussi, les paroles évoquent l’Allemagne et les après-midis passés au bord d’un lac avant d’aller au cinéma. Point bonus pour avoir placé dans les paroles : « chittering and chattering » et « spluttering and splattering » mais on est plus proche dans l’esprit de l’euphorie de l’amour naissant évoqué dans Miracles que du regard en arrière nostalgique sur un amour déçu que ma première écoute m’avait laissé entrevoir. Les bruits d’ailes après « taking flight » et les quelques notes de piano sont plutôt classieuses cela dit. Il s’agit d’un morceau qui sonne bien et qui court sans doute moins le risque de se démoder que Will-O-The-Wisp.

 

3) Happy People (7)

Je suis convaincu que la basse de cette chanson est pompée sur un de leurs anciens morceaux, dont je ne retombe pas sur le titre. En tout cas, le riff au piano du début m’évoque tout ce que j’ai détesté dans la dance-pop des années 90. D’un point de vue sonore, ce n’est donc a priori pas trop une chanson pour moi, ce qui est dommage parce que Neil y renoue avec la narration parlée qui lui réussit en général si bien, et les paroles des couplets sont peut-être bien ce qu’il a écrit de plus évocateur depuis dix ans. "A blues would be in B flat / Pain defining wisdom / But the soul is in the high hat / Programmed in the system". Je ne dirai pas que le sens est limpide mais c’est plus écrit que d’habitude, plus prétentieux aussi, ce qui n’est jamais une mauvaise chose avec eux.  Dommage que le refrain soit musicalement si pauvre, d’autant que la phrase "Happy people, living in a sad world" méritait un emballage mélodique un peu plus chiadé. Les cloches samplées en fin de morceau sont assez jolies aussi, même si la symbolique m’échappe, peut-être sont-elles simplement un avant-goût de Wedding in Berlin, qui clôture l’album.

 

4) Dreamland (7)

Le hit-single de l’album, dans le sens qu’il s’agit sans aucun doute du morceau qui a le plus tourné en radio (si tant est que dire cela ait encore une signification en 2020), sans doute à cause d’Olly Alexander, qui l’a co-écrite et y donne la réplique à Neil Tennant. C’est aussi une des rares chansons de l’album qui fut reprise lors de la tournée en cours. J’ai donc déjà eu le temps de m’en lasser un peu, d’autant que l’écoute au casque confirme qu’elle est beaucoup plus rudimentairement produite que les trois premières chansons de l’album. C’est de la pop song basique, sans fioritures, pensée pour rentrer en tête le plus rapidement possible. Les paroles évoquent clairement le besoin de s’évader de la réalité pour se réfugier dans le monde des songes où tout est plus beau, moins déprimant. Je ne sais plus pourquoi, à l’époque, j’y avais vu une parabole du Brexit et du syndrome de la « Little England » qui en est une des causes. Rien dans les paroles ne l’évoque directement, sans doute avais-je été influencé par le contexte politique de l’époque. C’est parfaitement plaisant et le contraste entre les manières de chanter de Neil et Olly est amusant à entendre, mais le propos et la mélodie sont un peu trop minces pour totalement convaincre.

 

5) Hoping For A Miracle (8,5)

Mon tempérament me fait en général préférer les chansons mélancoliques et lentes aux chansons euphoriques et rapides. On est ici en plein dans la veine introspective et sérieuse du groupe, sans doute ma préférée (voir par exemple Luna Park sur Fundamental). Ca faisait longtemps que les paroles d’une de leurs chansons ne m’avait pas semblé atteindre une forme d’universalité, ici les affres de la quarantaine quand les possibilités d’une renaissance, d’un changement de carrière, d’une réussite soudaine s’amenuisent (voire disparaissent) et où seul un miracle, un deus ex machina pourrait nous extraire de la vie que l’on s’est construite, ou qui s’est construite autour de nous,  malgré nous, à notre insu. C’est l’âge où l’on se surprend à rêver tout éveillé à d’autres destinées. 

Il s’agit en tout cas d’une chanson à laquelle une écoute distraite ne rend pas justice. J’en avais un souvenir plutôt négatif, comme un des points faibles de l’album, et en fait non, pas du tout. On y retrouve même une modulation, une forme de complexité harmonique comme ils n’en font plus guère depuis vingt ans. On peut noter que, dans les vingt dernières secondes, on entend au fond du mix quatre phrases prononcées par une voix trafiquée qui passe de l’aigu au grave et dont on ne sait trop si c’est celle de Neil ou de Chris (ou un mélange des deux).


(la suite ici)