vendredi, novembre 18

Paula Frazer à l'Escalier, 16 novembre 2005

La soirée de mercredi à l'Escalier de Liège était placée sous le signe de la guitare acoustique et des voix délicates, ce qui fait un contraste bienvenu avec l'album de Venetian Snares que je suis en train de subir en écrivant ceci.

La soirée commence avec Belle Close, une liégeoise à lunettes et gilet de laine blanc qui chante en s'accompagnant à la guitare. Son principal atout est une belle voix d'alto profonde qui permet de mettre un peu d'émotion dans des morceaux qui restent souvent assez sages et dont les textes (en anglais) semblent essentiellement axés sur les problèmes de couple ("si tu mets ta fierté de côté et si l'on se fait mutuellement confiance, je ne serai pas contrainte de rester en bordure de ta vie",... ce genre de choses). Musicalement, ça ne casse pas trois pattes à un canard mais le caractère bon enfant de son set est difficilement résistible, par exemple lorsqu'elle fait des commentaires en temps réel ("...et on termine ce morceau en improvisant quelques mesures...ploum ploum ploum... bon, voilà, ça devrait faire l'affaire", "vous êtes vraiment trop indulgents de m'applaudir", etc..). Après environ une demi-heure, elle termine par une reprise lascive (et très réussie) de Like A Virgin. Une très bonne première première partie.

Il est déjà presque dix heures quand les deux Moore Brothers (Oakland, Californie) montent sur scène. Greg Moore a une tête de Sergi Lopez barbu et Thom Moore un physique de joueur de football américain. A les voir, on a peine à croire qu'ils soient frères. Il suffit pourtant qu'ils ouvrent la bouche pour que cette parenté devienne parfaitement plausible. Tous les deux chantent avec une belle voix de ténor folk, celle de Thom évoque lointainement Ben Gibbard de Death Cab For Cutie tandis que celle de Greg est légèrement plus voilée. Le principe du concert est assez simple. Un frère joue de la guitare acoustique et chante la voix principale tandis que l'autre se contente de le doubler ou d'ajouter quelques choeurs. Dans un souci d'égalité, ils échangent systématiquement les rôles après chaque morceau. Musicalement, on pense à des Kings of Convenience plus minimalistes et moins frimeurs (je vais tenter de ne pas mentionner ici Simon & Garfunkel). Bien que l'on ait déjà entendu ce genre de choses cent fois, l'oreille est régulièrement accrochée par quelque trouvaille étonnante ou dérapage contrôlé (les hurlements de Greg pendant Tiger par exemple). Pourtant, de nouveau, plus encore que la musique, c'est le côté convivial du set qui conquiert sur le moment même l'auditoire. Ils font l'effort de parler en français quand ils le peuvent et disent beaucoup aimer Liège (c'est payant, le liégeois est en général chauvin). Ils vont même jusqu'à se présenter comme les "Oufti Brothers" et conclure leur première chanson par un "Oufti!" retentissant et rigoureusement irrésistible (même s'il faut sans doute être liégeois pour en saisir tout le sel).

Ils ont déjà sorti trois albums (le prochain, Murdered by the Moore Brothers, "our 'goth' album", sort en mars). J'ai acheté Now is the time for love (2004), leur dernier album, qui confirme a posteriori tout le bien que je pensais du set d'hier. Isolées sur disque, les chansons prouvent amplement qu'elles se suffisent à elles-mêmes. Le disque fonctionne sur le même principe de stricte égalité que le concert (14 plages, les paires sont de Greg, les impaires de Thom). A en croire ce dernier, cet album a été enregistré avec un seul microphone mais, heureusement, pour un disque entièrement acoustique, cette forme extrême de lo-fi n'est heureusement pas antinomique avec un bon confort d'écoute. Vous pouvez aller en écouter deux extraits dans mon billet de la semaine sur la Blogothèque. LIEN : le site des Moore Brothers.

Les Moore Brothers ont enregistré certains choeurs sur le nouvel album de Paula Frazer, Leave the sad things behind, ce qui explique sans doute qu'ils assurent la première partie de cette dernière pour toute cette tournée (qui ne passera pas par la France). En effet, la principale raison de ma présence à l'Escalier ce mercredi était évidemment Paula Frazer, que j'avais découverte avec Gentle Creatures, le premier album de Tarnation qui ait été distribué en Europe. J'espère ne pas faire injure à son talent en disant que, plus que dans ses chansons, le plaisir que je prends à écouter Paula Frazer réside dans sa voix, constamment sur le fil du rasoir et qui peut passer en une demi-seconde d'un grave guttural à un aigu cristallin. Lorsque l'envie me prend de faire des classements crétins, je la considère souvent comme la deuxième plus belle voix de l'histoire de la musique enregistrée (même si certains, j'ai les noms, y entendent un instrument de torture proche du crissement d'ongles sur tableau noir). Seule sur scène avec sa guitare acoustique, Paula Frazer ne peut évidemment pas rendre toutes les subtilités des arrangements de ses deux albums solo (voir par exemple Long Ago sur Leave the sad things behind) ou le caractère hanté de la country élctrique des deux albums de Tarnation (dont elle joua une poignée de chansons : Game of Broken Hearts, A place where I know, Idly,...). Pourtant, l'essence de ses chansons, encapsulée dans le timbre de sa voix et ses vocalises rêveuses, subsiste. Mon principal plaisir durant le concert fut d'ailleurs simplement de la regarder chanter, de voir sa voix naître et se déployer, plus puissante qu'on pourrait le croire mais toujours aussi prenante. Un moment de pur bonheur que j'attendaid depuis longtemps (la première partie des Tindersticks au Botanique avait été vraiment trop courte)

Bizarrement, je ne vais pour ainsi dire jamais voir de concerts à Liège. C'est idiot car ça présente plein d'avantages dont, par exemple, le fait de ne pas devoir partir avant le rappel pour attraper le dernier train (ce qui m'aurait privé d'A Place Where I Know). De plus, la célèbre convivialité liégeoise et le caractère très intime des salles de concert (et particulièrement de l'Escalier) donnent à ses derniers une dimension quasi-familiale franchement sympathique. Ce n'est pas si souvent qu'un artiste vu en concert vous serre spontanément la main en disant "See you next year" lorsque vous quittez la salle. Bon, d'un autre côté, il faut bien reconnaître que j'ai rarement l'occasion d'en profiter puisque les artistes qui m'intéressent le plus passent rarement à Liège, préférant souvent faire leur unique concert belge à Bruxelles. Pour conclure, il y a aussi, malheureusement, un gros désavantage dans le fait d'assister à des concerts à 500m de chez moi. Quand le public est scandaleusement clairsemé, comme ce fut le cas ce mercredi (une cinquantaine de personnes à tout casser) ou particulièrement dissipé (comme à la fin du concert de Paula Frazer, couvert d'un brouhaha incessant), je me sens vaguement honteux.

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