J'ai longtemps hésité avant de me rendre à la "Salle des Fêtes de Droixhe" pour assister à l'édition 2005 du festival Panoptica. Bien que l'affiche soit, de l'avis des spécialistes, de très bonne tenue, elle contenait peu de noms m'évoquant quoi que ce soit et aucun ayant a priori des raisons particulières de m'intéresser. Pourtant, je me suis retrouvé samedi soir à 21h, dans une salle quasiment vide (il était encore très tôt), bien décidé à me confronter aux dernières modes en matière de bidouilleries numériques.
Du moins, c'est ce que je pensais car le set d'aMute, qui ouvrait le festival, fut à tout prendre plus proche de Labradford que d'Autechre. Pour tout dire, il y avait même une guitare électrique sur scène. Nous n'avons pas été pris en traître, cela dit. Jérôme Deuson a pris le temps avant de commencer son set de nous expliquer que tous les sons seraient joués en direct avant d'être incorporés dans les boucles et que donc l'évolution de la matière sonore serait assez lente. L'ajout de trois notes de guitare pouvait ainsi prendre une ou deux minutes (je prends ma guitare, je la suspends à mon épaule, je chipote à mes pédales, je joue trois-quatre notes d'un air dubitatif, je chipote à mes boîtiers, j'en rejoue cinq d'un air inspiré, je chipote à mes boutons, je retire la lanière de ma guitare, je repose ma guitare, j'envoie la sauce vers les hauts-parleurs, je me demande ce que je vais faire après) et ainsi de suite.
C'est par moments assez pénible, notamment lors d'une séquence de deux ou trois minutes basées sur des bruits de CD qui bloquent (le toum-toum-toum continu qu'on entend parfois à la radio quand la technique fait des siennes). Pourtant, et je ne me lasserai jamais des surprises que recèlent souvent les discussions d'après-concert, des gens plus informés que moi ont décrété à la fin du concert que cela avait été "formidable" (j'ai été un instant tenté de rentrer illico à la maison pour vérifier dans mon dictionnaire si "formidable" avait un second sens). Cela dit, une étude très sérieuse réalisée au Eno Institute a montré que, si on boucle des séquences utilisant des notes aléatoires sur un tempo lent et contemplatif pendant une heure, on obtient en moyenne 8m34s de musique intéressante. aMute en a obtenu 14m57s et est donc théoriquement meilleur musicien qu'un générateur aléatoire, ce qui, en ces temps d'automatisation galopante, est plutôt rassurant pour son avenir.
Les concerts s'enchaînent presque sans temps mort et Arovane vient rapidement rappeler au public distrait qu'il s'agit bien d'un festival de musiques "électroniques". Arovane était de loin pour moi le projet le plus connu à l'affiche (pour tout dire, je crois bien avoir écouté un album un jour) et on se retrouve rapidement dans des sphères beacoup plus Autechrement correctes (on m'a dit qu'il fallait toujours tout comparer à Autechre, ça "fait bien"). J'associe en général Autechre à une forme de "déconstruction rythmique" (qui dans mon esprit signifie un truc du genre "dissimulation des beats derrière un déluge de couches et de textures arythmiques" et décrit parfaitement l'impression que me laissent les albums les plus récents du duo anglais). Autrement dit, bien que le tempo général soit très constant, on ne discerne pas de beats réguliers. Ce n'est pas forcément une mauvaise chose. Le spectateur baigne dans un océan de sons tellement complexe qu'il n'a pas vraiment le temps de s'ennuyer. Comme un regard se promenant sur une toile de maître, l'oreille du spectateur cérébral papillonne d'une couche à l'autre, jaugeant tour à tour les "crouik", les "blip" dissonants et les "tutututung" syncopés. Les clubbers les plus aguerris quant à eux parviennent à se mouvoir en rythme comme s'il s'agissait d'un remix de Poing! par David Guetta. Cela dit, comme souvent, je préfère, les passages plus atmosphériques où l'abstraction laisse momentanément la place à des émotions plus basiques.
La soirée se poursuit (avec une ponctualité toute germanique) avec les deux Suisses d'Intricate qui, après une heure au cours de laquelle les beats semblaient être un concept vaguement honteux, nous réveillent à grands coups de beats au Viagra (désolé) et de "nappes enveloppantes" (l'expression provient du texte de présentation qui défilait sur les écrans au début du set et qui, suivant le précepte énoncé plus haut, mentionnait également des similitudes évidentes entre les musiques d'Intricate et d'Autechre, similitudes que je cherche toujours). Sans doute parce que je suis très peu coordonné, bouger en rythme nécessite une grande partie de mes facultés mentales. Du coup, la musique sur laquelle je peux me trémousser est en général jugée moins sévèrement. Tout ce que je peux dire de ce set est qu'il m'a fait penser à celui de Modeselektor l'année dernière et que, en conséquence, j'ai passé un bon moment. Il m'en faut peu, au fond.
Le set suivant est assuré par Solvent, un Canadien assez proche de Lowfish. Entendez par là que certains des sons qu'il utilise m'évoquent irrésistiblement Jean-Michel Jarre (je vous laisse juger s'il s'agit d'un compliment ou non), que le set est décomposé en morceaux (séparés par du vrai silence et des vrais applaudissements de vrais gens), que le tout sonne franchement 80s. Il pousse même le vice jusqu'à utiliser un vocoder, ce qui lui vaut les quolibets rentrés des intégristes electros (j'ai cru entendre les mots "Danse des Canards" au détour d'une conversation) sans que les poppeux ne s'enthousiasment pour la cause. Si j'osais, j'ajouterais "N'est pas Cher qui veut". Dans l'ensemble cependant, ce n'est pas désagréable en fond sonore (et une frange du public avait l'air franchement enthousiaste) mais n'a non plus à mon avis un intérêt transcendant.
Boy Robot est un duo germano-suédois (honte à celui qui m'avait dit qu'ils étaient américains) dont seul John Zorn est présent ici. Sa musique est une sorte de digest prêt à écouter de tout ce que j'aime en électronica : une pulsation reconnaissable, des plages atmosphériques, des évolutions lentes dans la durée, des variations brusques de rythmes, des surprises, des moments de suspension, etc.. J'ai un peu de mal à en dire beaucoup plus. Aucun point de comparaison ne m'est venu à l'esprit sur le moment même et je n'ai à dire vrai plus qu'un souvenir assez vague d'à quoi ça ressemblait. Je vais tenter de trouver quelques morceaux à écouter en tout cas pour voir si ma bonne impression live se confirme sur disque.
La soirée se termine avec le set d'Apparat, le projet le plus surhypé de la soirée, si j'en crois mon échantillon représentatif de 1 spécialiste. Si j'ai bien retenu ce qu'on m'a expliqué, les disques de Apparat peuvent se classer en deux grandes catégories : les calmes (chez Shitkatapult ou Neo Ouija) et les plus orientés "dance-floor" sortis chez mes amis de BPitch (Paul Kalkbrenner, Ellen Allien, etc...). A en juger les commentaires d'après-concert, ce set contenait surtout ses morceaux les plus "dance-floor" et était à mon avis le plus intéressant de la soirée, touchant à de nombreux genres, de la trance (tendance Paul Van Dyk, voire Ferry Corsten) à la hard-techno à base de sons saturés (j'ai pensé pendant quelques secondes à T.Raumschmiere) en passant par la techno minimale, presque uniquement rythmique. Le public était assez enthousiaste et, pour une fois, j'étais plutôt d'accord. (j'ai désespérement cherché à caser "costume d'apparat" dans ce paragraphe mais n'y suis pas parvenu, à mon grand dam)
Voulant rester sur cette bonne impression, je me suis éclipsé (il était 3h30 quand même) avant le dernier set de Brothomstates vs Blamstrain que l'on m'a d'ailleurs par après décrit comme très décevant. En résumé, une très bonne soirée. La présence de chaises contre les murs m'a permis de surmonter mes accès de lassitude sans totalement décrocher (en regardant les visuels par exemple) et j'ai donc une fois de plus pu me frotter dans d'excellentes conditions à un genre de musique pour lequel j'ai une affinité de faible à moyenne et une connaissance quasi-nulle (d'ailleurs, tous les termes un tant soit peu techniques que j'ai employés l'ont potentiellement été à contre-sens. Vous êtes prévenus).
NB : J'ai passé sous silence les deux-trois plantages de Mac qui ont émaillé la soirée de peur de me faire taxer de suppôt de Bill Gates.
LIENS : La programmation du festival est détaillée et décrite bien mieux que je ne pourrais le faire ici, accompagnée des liens vers les sites des artistes (notamment Apparat) et des labels.
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