lundi, novembre 8

Panoptica

Pour sa troisième édition, le festival Panoptica quitte le décor rustique de la Maison de la Métallurgie pour prendre possession de la Salle des Fêtes de Droixhe, dans la banlieue de Liège. Dommage. J'aimais bien l'idée d'assister à un festival de musiques électroniques dans un lieu dédié au culte du métal et de la vieille industrie. Le nouvel emplacement du festival est un bâtiment sans âme, dans un quartier résidentiel. Pourtant, ce déménagement est sans doute une bonne chose. La salle est plus grande et, contrairement à l'année dernière, il était possible de danser sans fracturer les côtes de ses voisins. Une spectatrice, assez âgée, l'a d'ailleurs fait sur tous les sets, rarement en rythme mais sans jamais ménager son enthousiasme, ce qui mérite un coup de chapeau. De plus, les écrans ont triplé en taille et en nombre. Comme le reconnait à demi-mot un des organisateurs, c'est sans doute la première fois que le sous-titre de la manifestation ('Electronic music & Visuals') n'est pas un demi-mensonge. Dès lors, ne faisons pas la fine bouche.

Je regretterai juste que la nouvelle configuration des lieux ne permette plus d'aller épier au-dessus des épaules des musiciens et de voir ce qu'ils trafiquent réellement sur leurs portables pendant les concerts. Je n'ai jamais pu me convaincre tout à fait que, après avoir lancé leur fichier .WAV, les musiciens ne se contentent pas de réouvrir cette partie de Spider Solitaire qui leur résiste depuis si longtemps (ou l'équivalent sur Mac), en l'interrompant juste de temps en temps pour lancer un petit son en direct histoire de ne pas s'endormir. Et pourquoi pas finalement ?

J'arrive, plein d'enthousiasme, vers 22h pour assister à la fin du set de Y.E.R.M.O VS PAUL ALIAS. Des Belges qui font du drone (selon ma définition), c'est-à-dire des sons genre frwaowoaoorwoaow qui modulent lentement, sans rythme apparent, et s'empilent à l'infini. Le son est épouvantablement fort et, à dire vrai, quand on vient du dehors, c'est tout à fait rédhibitoire, donc je remets au vestiaire mes ambitions de chroniqueur et attends que ça se passe. La présence de bruits de ballons de baudruche que l'on frotte me fourre malgré tout en tête cette appréciation, "Du Black Dice mal digéré", qui me convient très bien.

Les choses deviennent plus intéressantes quand, vers 22h40, les deux anglais d'ISAN se présentent sur scène. Sur disque, Isan, ce sont des jolies mélodies, des nappes de basses saturées juste comme il faut, des atmosphères bucoliques et des petits blip-glitch-crouitch qui dégringolent en arrière-plan. C'est tout à fait ravissant, même si pas toujours fondamentalement différent de Jean-Michel Jarre. Sur scène, Isan, c'est... euh, pareil en fait, vu qu'ils se contentent de rejouer les morceaux de leur dernier album, Meet Next Life. Dès lors, il y a deux manières d'envisager les choses : la négative ("Ils se foutent vraiment de notre gueule. Si j'avais su, je serai resté à la maison pour écouter le disque. La bière y est moins chère.") et la positive ("Putain, la qualité du son était vraiment exceptionnelle pour du live. On dirait l'album."). Je pencherais plutôt vers la seconde, ne serait-ce que parce que je ne bois pas de bière. Et puis maintenant je sais que Isan, c'est un type d'environ 40 ans qui ressemble à Tim Burton et un autre qui a l'air plus jeune et porte des tee-shirts avec un logo Atari, et ça, c'est le genre d'infos qui peut toujours servir à meubler un temps mort dans une conversation. De plus, je pense que c'était la première fois que je voyais un set de laptop découpé en chansons, avec des blancs entre chacune d'entre elles pour qu'on puisse applaudir poliment. Ca avait donc un petit côté 'première fois', ce qui est toujours sympathique.

Arrive ensuite la hype de la soirée, TOMCATS IN TOKYO, des Français qui ont bien la tête de l'emploi. Après les miniatures cristallines de Isan, on retrouve ici une caractéristique que j'ai fini par associer à l'électronica, soit le besoin impérieux de tout déconstruire. Ce qui est bel et bien lorsqu'on déborde d'idées et qu'on se sert de la frustration de l'auditeur en mal de repères pour le déstabiliser, l'oppresser ou que sais-je encore, mais qui parait un peu gratuit dans le cas contraire. Ici, ça déconstruit beaucoup, c'est nettement plus rythmé (bon point, un petit beat techno vient même pointer le bout de son nez à la fin du set) mais ça ne mène pas à grand-chose. Aucune mélodie, et même pas vraiment d'harmonie. Le seul morceau qui présente un embryon de progression harmonique, vers le milieu du set, est évidemment le meilleur. Pour le reste, beaucoup de bruit(s) pour rien, mais comme ce sont des petits jeunes qui n'en veulent, on me murmure à l'oreille qu'il ne faut pas trop vite les enterrer. Soit.

Ensuite, toujours sans temps mort, arrive l'Américain de LUSINE. On me garantit que le set entendu hier soir n'a que peu de liens avec ce que Lusine fait sur disque. A juger des réactions entendues autour de moi, c'est heureux. Citons ainsi le formidable "C'est tellement mauvais que je danse." entendu durant le set ou bien un dépité "Mais c'est de la house !". Ceci dit, c'est la première fois que la salle bouge et la danseuse solitaire du début est maintenant bien entourée. Donc, ça a dû plaire. Mais pas à moi.

Ma petite révélation vient ensuite. Ce sont les Allemands de MODESELEKTOR. La rumeur voulait qu'ils étaient tous complètement explosés à la bière (entre autres) au moment de monter sur scène, mais ça ne s'est guère remarqué. Ils semblent être assez influencés par le hip-hop (ne serait-ce que parce que l'un d'eux a un tee-shirt Public Enemy et qu'il aime à interpeller le public). Leur musique est une sorte de techno minimale avec des beats omniprésents et des basses à vous mettre l'estomac dans les talons, sur lesquels se greffent des motifs récurrents ou quelques descentes d'accord tristes. Le tout est à mon avis assez irrésistible et donne une féroce envie de 'bouger' (ce qui ne signifie pour moi guère plus que 'se dandiner légèrement d'un air gauche'). L'ambiance générale du set est très orientée discothèque, mais ce serait alors une musique de danse dont on aurait retiré tous les colifichets pop pour ne garder que le squelette : la pulsation, les rythmes légèrement syncopés et quelques notes clairsemées. Je suis sûr qu'au plus fort de leur set, ils auraient pu ne laisser que le beat pendant 1 ou 2 minutes sans que le public ne cesse de bouger. Certes, tout cela n'est pas très malin. Ca déconstruit par exemple assez peu, ce qui donne tout de suite un petit côté 'manant' (une expression dépréciative typiquement liégeoise) à la chose, mais c'est terriblement efficace. Dommage qu'ils se soient un peu perdus à la fin dans un rappel interminable qui a fini par lasser les plus enthousiastes.

C'est à peu près le moment où mon horloge interne a dit 'Stop ! Il est l'heure de rentrer.' Il faut dire qu'il était déjà plus de 3h du matin et que la fatigue commençait à se faire sentir. C'est un moment difficile que je dois surmonter à tous les festivals auxquels j'assiste et, en général, passé ce cap, même une prestation surprise de Dead Can Dance jouant les meilleurs morceaux des Pet Shop Boys avec Brian Eno aux claviers serait accueillie par des bâillements désapprobateurs entrecoupés de "C'est nul. Je veux rentrer." (voir par exemple le Rhaaa Lovely il y a quelques mois, même si Migala était effectivement assez quelconque).

Une panne de courant, après cinq minutes du set de FUNCKARMA VS CANE, a bien failli exaucer mes voeux muets, mais finalement, après quelques minutes d'incertitude, l'installation électrique fut remise en état et le set a pu se terminer sans heurts. Avec le recul, c'est tant mieux. D'abord parce qu'après cinq heures de projections très efficaces mais souvent réalisées avec des bouts de ficelles, il est accompagné d'images de synthèse impressionnantes, à base de formes géométriques qui tournent et retournent sans cesse sur elles-mêmes. Ensuite parce c'était musicalement très riche, très dense et qu'il y avait là une véritable intensité dramatique, presque un fil narratif. Est-ce la fatigue qui m'a rendu particulièrement réceptif ou bien était-ce véritablement le fruit de musiciens en état de grâce ? Je ne sais pas. Je serais même bien en peine de décrire ce que j'ai entendu. Sachez donc juste que c'était très bien.

CYLOB a beau être un petit protégé d'Aphex Twin et son set a beau avoir plutôt bien commencé, je suis quand même parti. A l'impossible nul n'est tenu, et surtout pas moi. Une bonne soirée donc, où j'ai à nouveau pu me frotter à un genre auquel je ne connais pas grand-chose. J'aime bien cette sensation de plongée dans l'inconnu.

Pour résumer, le quinté dans l'ordre est :

Funckarma vs Cane (NL)
Modeselektor (DE)
Isan (UK)
Tomcats in Tokyo (FR)
Lusine (US)

PS : On peut trouver sur le site d'Isan la vidéo d'un des titres joués hier soir.

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