Ayant découvert les Nits en plein âge d'or à la sortie de Giant Normal Dwarf, j'avais de leur carrière une vision assez simple. Après deux-trois albums d'échauffement, le groupe entame une décennie glorieuse en alignant les albums quasi-parfaits (de Omsk à Ting compris) sans effort apparent. La machine semble ensuite se gripper avec dA dA dA en 1994. Pour succéder au dépouillement de Ting, le groupe a changé totalement de style et enregistré un album très enjoué, très (trop ?) produit, avec des percussions presque sud-américaines par moments. Malheureusement, certaines compositions sont un peu faiblardes (ce qui ne leur était plus arrivé depuis le début des années 80) et j'ai encore aujourd'hui beaucoup de mal à l'écouter en entier. Suite à ce semi-échec (difficile d'appeler ratage complet un album qui contient Mourir avant quinze ans et Day and the Night), le trio central du groupe implose. Robert Jan Stips (membre à part entière depuis Omsk) part vers d'autres pâturages tandis que Rob Kloet et Henk Hofstede poursuivent leur route avec l'aide de deux nouvelles musiciennes, sortant dans cette configuration deux albums très inégaux. Le tempo ralentit, les ambiances se figent, les atmosphères se distendent jusqu'à obtenir la jazz-pop lymphatique de Wool. Comme les Nits sont incapables de sortir un disque qui soit réellement mauvais, ça reste toujours au moins "intéressant" mais je dois bien avouer que, sur la longueur, ces albums m'ennuient poliment, sans que cet ennui ne soit pimenté par un soupçon de mystère (bien que Wool s'en approche dans sa première moitié, quand il évoque le souvenir des deux-trois derniers albums de Leonard Cohen). Pourtant, si on va un peu fureter sur les mailing-lists consacrées au groupe, on tombe sur une minorité agissante pour laquelle Alankomaat et Wool sont les sommets inégalables de l'oeuvre des Nits. Cela ne veut néanmoins pas dire grand-chose puisqu'on y trouve aussi des hurluberlus pour lesquels Ting est de très loin leur album le plus faible. Tout cela reste donc très subjectif (et c'est tant mieux).
La production de l'album suivant (1974, sorti en 2003) laissait parfois un peu à désirer mais, dès les premières secondes de With Used Furniture, les intentions sont claires : marche arrière et net retour vers les rythmes endiablés et la joie ludique qui sous-tend la plupart de leurs meilleurs albums. Incidemment, Robert Jan Stips était pour cet album de retour au sein du groupe. Difficile donc de ne pas en inférer les relations empiriques suivantes :
(Nits avec Stips --> rythmé --> formidable)
(Nits sans Stips --> rêveur --> juste pas mal)
C'est certes une vision simpliste des choses. Les crédits d'écriture des premiers albums des Nits ou les albums solo de Henk Hofstede prouvent amplement que Stips est loin d'être le seul talent du groupe, d'autant que Supersister (le premier groupe de Stips) n'est pas loin d'être inécoutable. Pourtant, comme ces relations simples collent étonnamment bien aux impressions que me laissent les albums, je ne les avais jamais vraiment remises en cause. C'est donc avec une stupéfaction teintée d'un curieux sentiment de trahison que j'ai lu il y a quelques semaines les premières chroniques du nouvel album du groupe, Les Nuits. En effet, bien que Robert-Jan Stips ait participé activement à son écriture et à son enregistrement, on le comparait souvent à Alankomaat et Wool. Tout mon cadre de référence s'effondrait dans un grand fracas d'illusions perdues.
Heureusement, deux écoutes seulement allaient suffire pour me rassurer. Certes, Les Nuits est un album beaucoup plus calme et contemplatif que 1974 et rappelle beaucoup Wool par son atmosphère mais, cette nuance est d'importance, les chansons y sont dans l'ensemble bien plus intéressantes. Là où la plupart des chansons de Wool me semblaient curieusement unidimensionnelles, les chansons de Les Nuits semblent baigner dans un halo de mystère et révéler des faces cachées à chaque nouvelle écoute... comme The Eiffel Tower par exemple, un morceau à la fois si beau et si biscornu qu'il serait parfaitement à sa place sur l'album Tilt de Scott Walker. Henk y chante d'une voix plaintive sur un tapis de cordes dissonantes et quelques notes de guitare acoustique et de piano. Toute la chanson semble errer à la recherche de quelque chose (sans que l'on sache très bien quoi), comme en suspension. Les Nits ne faisant rien comme tout le monde, ils enchaînent directement avec Red Dog, une chanson aux antipodes de la précédente, basée sur ce que l'on pourrait définir comme un riff de fanfare Kusturicien. The Long Song suit et est la plus belle des chansons que les Tindersticks ne pourront plus jamais écrire sans être accusés de plagiat. Les trois morceaux suivants forment apparemment une trilogie consacrée à l'assassinat de Theo Van Gogh (quoique, si on ne le sait pas, ça ne saute pas franchement aux yeux).
Voici déjà la plage 9 et j'attends toujours l'habituelle baisse de qualité de milieu d'album. Ca tombe bien que j'en parle maintenant car c'est justement ici qu'elle arrive, avec The Wind-Up Bird, première chanson à ne pas tout à fait mériter le qualificatif de "splendide". Cela dit, relativisons la déception puisqu'elle rappelle beaucoup l'atmosphère de l'album le plus féérique des Nits (Giant, Normal, Dwarf), ce qui a comme conséquence directe que 90% des albums que j'ai aimés cette année se mutileraient volontiers le copy-control pour l'accueillir en leur sein.
En conclusion, il est étrange d'en venir à souhaiter qu'un disque soit plus court mais Les Nuits passe tellement près de la perfection que j'en viens presque à regretter la présence des deux chansons un peu moins bonnes (The Wind-Up Bird et The Milkman). Cela dit, à l'ère du compact, rien ne m'empêche de programmer les plages 1,2,3,4,5,6,7,8,10 avant lecture et de faire de cette version personnelle mon album de l'année. Je suis tenté.
Au final, il me reste juste à modifier légèrement mes relations causales empiriques :
(Nits avec Stips --> formidable)
(Nits sans Stips --> rêveur --> juste sympa)
Le fracas des illusions perdues n'est finalement pas aussi assourdissant que je l'avais craint.
4 commentaires:
Voilà une chronique qui me redonne espoir... Les premières descriptions de l'album sur la mailing list "nitslist" m'avaient enchanté, y compris les déceptions car elles venaient de gens qui, effectivement, considéraient Ting comme un mauvais album, mais les titres en écoute sur le site officiel (les nuits, key shop, red dog) m'ont plutôt déçu, peut-être parce que - à part "les nuits" - ce sont les plus rythmés et enjoués et ce n'est pas l'idée que je m'étais faite de l'atmosphère du disque. J'avais rêvé d'un album à la hauteur de "Ting", voire mieux encore, mais je crois que c'est peut-être trop demander. En tout cas, les rapprochements avec Scott Walker et les Tindersticks me redonnent envie, et c'est dur d'attendre jusqu'au 28 novembre ici en France !...
Sans Stips juste pas mal? Ouias... Tu devrais reécouter des morceaux comme Crme and Punishement, Sister Rosa, Changing Room, Wind and the Rain par exemple; je me rappelle que j'ai détesté Alankomaat et Woll quand je les ai découvert; Pareil, je trouvais qu'ils manquaient de folie et de fantaisie.Aujourd'hui je pense q'ils font partie des 4 meilleurs Nits. Avec GND et Ting. Et Work peut être. Mais Je n'échangerai pas Adieu sweet banhof ou Dutch mountais contre ces 2 là. Impossible. Ils grouillent d'idées et de tiroirs magiques. Mais il faut entrer dedans.
Crois-moi, depuis le temps, je les ai tous écoutés, et plutôt dix fois qu'une, mais j'ai vraiment beaucoup de mal à y trouver quoi que soit à quoi me retenir.. Je me les garde sous le coude en attendant une éventuelle illumination pour mes 40-45 ans. :) En attendant, ASB et ITDM correspondent beaucoup plus au genre de musique que j'affectionne en fait.
Oua joli chronique et belle vision de l'ensemble de la carière du groupe.
Bon perso je partage pas à fond la vison sur l'ensemble de leur carière. Pour moi les deux albums avant Omsk sont des claques, le froid et brutal "New Flat" est une piece unique, et Work un petit bijou. Omsk avec l'arrivée the Stips gagne une richesse de composition mais pert beaucoup en spontanéité. Suit le grandiose "Adieu, Sweet Bahnhof" trés cousin de "Work", et leur chef d'oeuvre, l'étrange "Henk". Et puis l'horreur, "In the Dutch Mountains" là c'est fini les Nits sont morts, l'album du succés ça m'étonne même pas.
Bien sûr en fouillant leur musique ya de quoi grapiller mais fini les grosse claques. Jusqu'à 1974 le départ du théoricien de la musique s'avère finalement une bonne chose avec un retour à la spontanéité et l'impertinence musicale, pas parfait mais on croirait presque voir l'acien Nits renaître.
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