Lorsque vous aimez Pascal Obispo et Jean-Jacques Goldman et que vous avez envie de vous attacher à des vedettes en devenir et de les suivre pas à pas sur le chemin parsemé d'embûches, de rires et de larmes, qui les mènera d'une déprimante normalité (la vôtre, en fait) vers le rêve et la glamour du star-system, vous n'avez apparemment qu'à allumer votre téléviseur. (Parlez de la Star Ac, et il vous viendra des élans de dossier de presse, étrange, non ?)
En revanche, si vous considérez que la musique s'est arrêtée à Stravinsky, si le mot concert évoque spontanément pour vous des fauteuils confortables en velours rouge et des théâtres à l'Italienne plutôt que des grands hangars sans âme où 15000 personnes hurlent en choeur leur enthousiasme, comment pouvez-vous assouvir ce besoin d'empathie avec les interprètes et cette envie de voir s'affronter des jeunes gens sympathiques et pleins de talent dans un fracas d'ambitions antagonistes ? Hein, comment ? Et bien, la réponse est simple : vous ne pouvez pas....
....sauf si vous avez la chance d'habiter en Belgique, qui abrite depuis très longtemps une compétition musicale chic et de bon goût où, en alternance, pianistes, violonistes et, plus récemment, chanteurs et chanteuses de toutes nationalités s'affrontent en direct et en prime-time à la télévision, sous les regards avides de toute une nation. Ainsi, trois années sur quatre, nos petits écrans sont envahis pendant une semaine de musiciens, jeunes mais déjà confirmés, qui vont enchaîner leur Mozart, leur Tchaikovski et leur Sibelius en espérant impressionner le jury et empocher ainsi le prestigieux Premier Prix. Cette visibilité médiatique du concours doit à mon avis être quelque chose d'assez unique au monde, et les candidats acquièrent pour quelques mois un statut de quasi-pop stars, en tout cas aux yeux de la frange de la population qui suit le concours. Ils font la une des journaux, sont invités sur les plateaux de télévision et partent même en tournée dans la foulée du concours pour récolter les fruits de leur popularité nouvelle. Une vraie petite "Art Academy" donc, jusque dans les détails les plus inattendus. Les concurrents sont ainsi tous réunis pendant la durée du concours et des répétitions dans une grande maison, la "Chapelle", où ils vivent en communauté.... (malheureusement sans y être filmés 24 heures sur 24. Conscients de la frustration que cela peut causer, les journaux télévisés ne manquent néanmoins pas de nous présenter chaque année quelques images où on les voit jouer au ping-pong, manger ou rire. Ca ne vaut pas la caméra dans la piscine, certes, mais c'est mieux que rien.)
Evidemment, comme on flotte ici dans le bon goût et le raffinement, cette compétition ne porte pas un nom aussi vulgairement commun que 'Star Academy'. Non, ça s'appelle le Concours Musical International Reine Elisabeth de Belgique, ce qui sonne, il faut bien le reconnaître, nettement moins plouc, même quand on l'appelle familièrement le 'Reine Elisabeth'.
Par atavisme familial, je n'y ai pas échappé, et année après année, j'ai vu les concertos pour violon succéder aux concertos pour piano et aux sonates. C'est sans aucun doute à cause de ce rendez-vous annuel que j'ai développé une fascination maladive pour le Concerto pour violon de Sibelius ou bien les concertos pour piano de Prokofiev.
En conséquence, je suis allé voir jeudi dernier Severin von Eckardstein, le gagnant du concours 2003 de piano, interpréter le Troisième Concerto pour piano de Prokofiev. Après une petite mise en bouche de l'orchestre, il arrive sur scène et des applaudissements nourris retentissent pendant plusieurs minutes. Rien que d'apparaître, encore tout auréolé de sa notoriété récente, il provoque l'enthousiasme de la foule. Cela me fit sourire de constater que, quel que soit l'âge moyen des spectateurs ou le genre de musique concerné, les effets de l'exposition médiatique sont les mêmes.
Ceci dit, entendons-nous bien. Le "Zabeth" n'est pas, quoique le parallèle m'amuse, la Star Academy. Les concurrents ne suivent aucun cours pendant la durée du concours, et ne se présentent donc aux éliminatoires qu'après avoir longuement étudié par ailleurs. En conséquence, presque tous les lauréats finissent par faire une carrière de plus ou moins haut niveau et le concours représente plus pour eux une occasion de se situer par rapport à d'autes musiciens que de faire sa promotion. Je m'en voudrais de laisser croire que les gagnants du concours sont des non-entités artistiques comme peuvent l'être Michal, Steeve, Jenifer, Linkup ou L5 (en espérant ne pas écorcher les noms). Après tout, Vladimir Ashkenazy et Gidon Kremer sont passés par là et, pour autant que je puisse en juger, Severin von Eckardstein est effectivement un très bon pianiste. Une fois le concert terminé (surtout après son interprétation en rappel d'un extrait de la transcription pour piano de Roméo et Juliette, toujours de mon ami Proko), il aurait été difficile de lui dénier son droit aux applaudissements.
Il m'est toujours apparu assez évident que la Star Academy n'est qu'un moyen cynique pour les producteurs de rentabiliser leurs nouveaux poulains dès le casting préliminaire (et non plus seulement lorsque le premier single est prêt à sortir), donc de faire en quelque sorte payer les frais de leur apprentissage par le public. Cette rentabilité préliminaire permet alors aux maisons de disques de les abandonner sans regrets quelques mois plus tard, lorsqu'une nouvelle génération de candidats arrive, des rêves de gloire plein la tête. La Star Academy n'a jamais eu pour mission de lancer des carrières, mais juste de créer quelques icônes transitoires qui pourront occuper pour quelques mois l'espace médiatique avant de s'éclipser pour laisser la place aux nouveaux. J'imagine ainsi que la plupart des ex-candidats de la Star Academy (ou des autres émissions du même type) doivent porter un regard amer et désabusé sur leur expérience.
Donc, pourriez-vous vous dire, si les candidats du CMIREB ont vraiment un talent suffisant pour leur garantir une carrière après coup, tout cela n'a en fait guère de liens avec la Star Academy, si ? Non, peut-être pas. Sauf que, à l'entracte, ce pauvre Severin, 26 ans (déjà/seulement selon le point de vue), s'est retrouvé, le sourire légèrment crispé, à peine protégé par une table basse, à signer des autographes tandis qu'une meute de grands-mères aux cheveux mauves se pressaient autour de lui pour lui serrer la main en clamant "C'était magnifique ! Bravo !" avant de retourner vers leurs amies en disant : "Quel charmant jeune homme. Il est si jeune, et il joue si bien du piano. Il ferait un bien beau gendre, pas comme cet abruti de XXX dont mon idiote de (petite-)fille est allée s'amouracher." Ce genre de commentaires serait-il envisageable si Severin n'avait été, pour quelques jours, une star de la télévision ?
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