dimanche, avril 22

Lisa Gerrard, Cirque Royal, 17 avril 2007 (I)

Préambule : j'ai déjà longuement causé de Dead Can Dance et de Lisa Gerrard ici et . Si vous voulez avoir une bonne idée de l'importance qu'a eu et a encore Lisa Gerrard dans mon éducation musicale, c'est un bon début.

Depuis 15 ans que le suis la carrière de Lisa Gerrard, ma relation vis-à-vis de sa musique est passée par à peu près tous les états possibles. De l'obsession à l'indifférence et du "Pfff. J'abandonne. Plus jamais je n'achèterai un de ses disques" au "YAHFHJAHZGARGLLL ! Elle sort un nouvel album, ENFIN !!!" Depuis quelques années, mon opinion fluctuante sur Lisa Gerrard est donc le résultat d'une lutte d'influence entre deux sentiments contradictoires : une déception vis-à-vis d'un plan de carrière hasardeux et une envie viscérale de retrouver le paradis perdu, l'euphorie qui m'envahissait en écoutant sa musique à l'époque. Le concert qu'elle a donné mardi dernier au Cirque Royal de Bruxelles en est l'illustration presque parfaite. Chacune des deux parties illustrant jusqu'à la caricature chacun de ces deux sentiments.

La scène semble de premier abord bien vide. Plein centre, une chaise avec un verre d'eau bien en évidence. Sur la gauche, un piano à queue un peu en retrait. Sur la droite, un synthé. Entre les deux, un gong. Rien d'autre. Vers 20h30, Michael Edwards (qui a en partie produit The Silver Tree) prend place derrière le piano et John Bonnar (déjà présent avec Dead Can Dance lors de la tournée Toward The Within) se place à côté du gong, tandis que Lisa vient prendre place sur le devant de la scène. Lorsque les premières notes de Tempest surgissent, l'explication de l'absence d'instruments sur scène apparaît clairement. L'essentiel de l'accompagnement musical est pré-enregistré et j'en viens à craindre un concert-karaoké de province où Lisa Gerrard se contenterait de plaquer sa voix sur les bandes des versions studio. Cette impression désagréable me poursuit durant tout le début du concert, d'autant que sur les six premiers morceaux joués, trois sont des inédits (dont je ne garde guère de souvenirs, ce qui n'est pas forcément bon signe) et un quatrième est un des morceaux les moins intéressants du nouvel album. Il n'y a guère que Sacrifice qui vient me mettre un peu de baume au coeur même si je l'ai toujours trouvé légèrement surestimé par les fans.

Les choses empirent encore un peu lorsque l'intro au synthé de Sanvean survient, non pas que ce soit un mauvais morceau (il s'agit même à mon avis de la chanson la plus terrassante de tout son répertoire) mais parce que l'évolution au fil des ans de la manière dont elle l'interprète est sans doute pour moi le révélateur le plus criant de l'impasse artistique dans laquelle elle s'est longtemps égarée. De la version de Toward the Within à celle-ci, en passant par celles de The Mirror Pool et de la tournée 2005 de DcD, le tempo a sans doute été divisé par deux. Du coup, les harmonies s'étirent, s'étirent jusqu'à perdre tout pouvoir émotionnel. Je me suis d'ailleurs retrouvé à tenter d'ignorer ce qui se passait sur scène, préférant me remémorer l'absolue perfection de la première version, à en regretter le débordement d'énergie jaillissante. Sur scène, Lisa semble chanter le morceau comme une longue mélopée éthérée, comme le souvenir d'une émotion perdue qu'elle tenterait vainement de retrouver en singeant ses inflexions d'autrefois, et la voir me rend triste. A voir la lenteur mortifère de ses mouvements, la componction de son attitude, les yeux souvent fermés, les poses anti-naturelles qu'elle est forcée de prendre pour maintenir son équilibre, j'en suis même venu à me demander si son cas ne relevait pas de plus en plus de la psychiatrie et si, poussée par un entourage avide, elle n'était pas en train de se détruire lentement dans une tournée qu'elle n'était manifestement plus en état d'assumer. J'ai pensé à ces personnages de roman fantastique, à ces riches héritières d'une pâleur cadavérique se laissant mourir de langueur dans des châteaux sombres, s'effaçant progressivement, happée progressivement par un monde intérieur sur lequel les médecins n'ont nulle prise. Ca en est au point d'ailleurs qu'avant la petite interruption pour changement de costume, un assistant vient du fond de la scène pour la soutenir durant les quelques pas qui la mènent dans les coulisses. Même marcher semble être devenu pour elle une épreuve insurmontable. Dans une rare intervention parlée, elle dira d'ailleurs un truc du genre "If sometimes I fall over it's because I have no balance. I used to have someting to hold on to, but I don't anymore", avec un petit sourire triste.

Bien qu'une part de théâtralité entre sans doute en jeu dans la manière dont elle se présente sur scène et qu'il serait dangereux d'en inférer quoi que ce soit sur sur sa manière d'être loin des projecteurs, l'impression générale que j'ai retiré de cette première partie fut cependant celle d'un incroyable gâchis, d'une voix fabuleuse qui s'étiolerait lentement, prisonnière d'une inspiration moribonde. Pourtant, une lueur d'espoir se dessine avec les deux derniers morceaux de cette première partie. Wandering Star est un des meilleurs extraits de The Silver Tree. Le dépouillement de l'accompagnement musical y rappelle notamment Song of the Sibyl ou Wilderness. Encore meilleur fut Meltdown, un extrait de la BO de Révélations (The Insider) dont j'avais oublié jusqu'à l'existence et où Lisa Gerrard expérimentait déjà avec l'atmosphère trip-hop qu'elle a creusée sur The Silver Tree. Du coup, lorsqu'elle a disparu d'un pas mal assuré vers les coulisses, je sentais déjà frémir en moi les prémices de la rédemption. J'y reviens très vite.

Aucun commentaire: