On peut diviser les concerts 'rock' en deux catégories. La première est la plus éprouvée : le chanteur est au centre de la scène, entouré de ses musiciens, les morceaux se succèdent, entrecoupés ou non de quelques paroles adressées au public ("Fuck Bush", "This one is called Karma Police", "It's good to be here", "As you've been a fantastic audience, we'll play one more", ce genre de choses). La seconde est plus récente (on pourrait timidement émettre l'hypothèse qu'elle est née avec Pink Floyd ou Jean-Michel Jarre). Elle consiste à considérer le concert comme un spectacle total dont la musique ne serait qu'un des ingrédients. Dans ce cas, la scène est le plus souvent énorme, les jeux de lumière aveuglants (avec des rayons laser. Ca donne toujours bien, les rayons laser) et les effets pyrotechniques à l'extrême limite de ce que les réglementations en vigueur autorisent. Il faut de nombreux danseurs et danseuses, des choristes, une petite section de cuivres, deux batteurs,.... On reste ici dans le domaine du concert (les musiciens sont visibles sur scène, les chanteurs au centre), mais tout y est démesuré, énorme et grandiose. C'est le cas de la plupart des spectacles des superstars de la pop actuelle, de Britney Spears (son récent Onyx Hotel Tour où elle ne chantait pas) à Justin Timberlake. Pourtant, une caractéristique lie ces deux types de spectacle : la place des artistes dont le nom est sur l'affiche y est centrale. Que Thom Yorke se prenne pour un derviche tourneur pendant que Jonny se lance accroupi dans un solo de transistors ou que Britney Spears fasse semblant de s'octroyer un peu de bon temps avec le "touch of [her] hand" sur un grand lit aux draps beiges froissés tandis que 10 danseurs se trémoussent à ses côtés, tout tourne autour d'eux : les chorégraphies, les jeux de lumière, la disposition de la scène, etc. Et comment pourrait-il en être autrement ? Pour pouvoir se permettre de mettre sur pied des spectacles de ce type, il faut de l'argent. Donc, pour espérer rentrer dans ses frais, il faut être une star et pouvoir attirer des centaines de milliers de spectateurs. Et quand on est une star, on se comporte sur scène comme une star et on ne se confond pas avec le décor. C'est ainsi.
Pour voir des concerts à grand spectacle ne tournant pas au délire mégalomane, il faut donc aller fureter du côté des artistes un peu moins connus. Le cabaret décadent, cheap et à la limite du mauvais goût, de Fischerspooner est un bel exemple. Casey Spooner semble n'y être qu'un intervenant parmi d'autres, surtout quand il ne chante pas. Warren Fischer est quant à lui carrément absent. Pourtant, on sent confusément que, si le groupe avait vendu un nombre de disques en accord avec l'importance qu'il s'accorde, on assisterait sans doute à un tout autre spectacle où leur nom apparaîtrait en lettres de feu au-dessus d'une scène gigantesque et où un orchestre symphonique serait, on ne sait trop comment, incorporé entre deux couplets de Emerge.
Il est pourtant un exemple d'artistes au sommet de leur gloire, riches à millions et ayant mis sur pied un spectacle hors de prix derrière lequel ils se sont en grande partie dissimulés : les Pet Shop Boys. Leur tournée Performance en 1991 fut une entreprise complètement dingue dont, dès la conception, on savait qu'elle serait déficitaire. Même si tous les concerts affichaient complet, la perte sèche serait d'environ 500.000 livres. Un caprice qu'ils pouvaient se permettre à l'époque, lorsqu'ils étaient encore les musiciens "indépendants" les plus riches d'Angleterre. Ce ne serait sans doute plus cas aujourd'hui.
Le rapport à la scène du groupe a toujours été assez conflictuel. Partant du principe qu'il n'y aurait pas de sens à prétendre qu'ils sont réellement capables de reproduire leurs chansons live, ils ont rapidement trouvé leur salut dans une distanciation ironique. Lors de leurs nombreuses apparitions, Neil chante tandis que Chris, l'air impassible et ennuyé, se tient debout derrière son clavier, ne cherchant même pas à faire semblant de jouer. Ce dispositif a fait leur succès à la télévision, à une époque où le minimalisme n'était pas encore à la mode. Pourtant, ils sentaient légitimement que, pour un spectacle payant, ce genre de mise en scène pourrait passer pour un léger foutage de gueule. Ne sachant trop comment s'y prendre, ils ont donc très peu fait de scène au début de leur carrière. Ils ont bien effectué une première petite tournée en 1989, dont je ne sais quasiment rien et qui était axée autour des projections vidéo réalisées par Derek Jarman, mais ce n'est que deux ans plus tard; en 1991, qu'ils ont osé se lancer dans une vraie tournée mondiale, Performance. Leur quatrième et meilleur album venait de paraître. Leurs singles passaient en boucle à la radio et tout semblait devoir leur sourire. C'était le bon moment pour s'autoriser un tel caprice. Incidemment, leur première tournée où ils monteront sur scène en tant que musiciens aura lieu en 2002 et contredira en quelque sorte tout ce qui avait présidé à la tournée de 1991.
En effet, la réflexion sous-jacente derrière le projet Performance était la suivante. Puisqu'ils ne peuvent pas se présenter en tant que musiciens et qu'ils ne se sentent pas non plus suffisamment charismatiques pour organiser le spectacle entièrement autour de leurs deux personnes, ils ont décidé que le concert serait un mélange haut-de-gamme entre la danse contemporaine, le théâtre et l'opéra, avec une grosse dizaine de danseurs, quatre chanteurs, des décors soignés et des éclairages aux petits oignons. Chaque chanson aurait sa mise en scène propre mais s'inscrirait dans un cadre narratif global, mais à vrai dire assez lâche. Tout devrait être fait pour que le public ne se sente pas en concert et il serait d'ailleurs superbement ignoré jusqu'à la dernière chanson. Les instruments seraient invisibles (même ceux joués live). Mieux, bien que Neil Tennant chanterait la plupart des morceaux, il n'hésiterait pas à laisser le micro à d'autres lorsque la mise en scène l'exigerait. Quant à Chris, disons juste que rien ne donnerait à penser que les touches que ces doigts effleurent distraitement de temps à autre sur sur un clavier portatif ont une quelconque incidence sur les sons qui sortent des enceintes.
Quand on y réfléchit un peu, ce n'est pas une idée si farfelue que de se servir de chansons comme bases de saynètes théâtrales (muettes). Pourtant, à ma connaissance, ça n'a jamais été refait depuis, sans doute parce que le mélange de prétention et d'auto-dérision nécessaire à ce qu'une telle idée germe est une combinaison assez rare.
Voilà pour l'idée de base, mais sur de telles prémisses, le spectacle aurait pu se révéler un désastre. Il n'en est rien, sans doute parce que, comme souvent, ils ont su s'entourer de bons chanteurs, de bons danseurs (en majorité classiques), de bons costumiers, metteurs en scène, éclairagistes,...
Le concert commence par une petite séquence onirique de théâtre contemporain (tendance Robert Wilson), où on pressent une symbolique mûrement réfléchie, juste au-delà de la compréhension, sur une musique de Strauss (Richard évidemment, pas Johann et ses valses à deux balles pour buveurs de café en sachet). Par la suite, en vrac, il y aura des dortoirs de collège anglais avec leur lot de pensées interdites, un gigantesque crâne de Staline en pierre que des Russes épris de liberté feront éclater avec un marteau et une faucille, des séance d'électro-chocs, des anges, des cochons obsédés par l'argent, des frères Dupondt jaune canari et rose fuschia, des demi-marié(e)s, des mises à mort, et bien d'autres choses, le tout dans un joyeux foutoir qui, pourtant, semble le plus souvent tout à fait maîtrisé.
Bien sûr tout ne fonctionne pas toujours complètement et, sur quelques titres, ça tombe tout à fait à plat (So hard ou Where the streets have no name par exemple), mais quand ça fonctionne, et que les éclairages, la musique, les chorégraphies se fondent en un tout, on arrive à des moments d'une beauté assez inouïe (voir My October Symphony, I'm not scared ou les secondes moitiés de We all Feel Better in the dark et How can you expect to be taken seriously? par exemple). Même Rent, dont le dépouillement minimaliste tranche avec le reste du spectacle, réserve son quota de frissons dans le dos.
Performance représente sans doute la quintessence de ce qui rendait, à l'époque, les Pet Shop Boys uniques et qu'ils ont sans doute en partie perdu depuis, soit une volonté de n'en faire qu'à leur tête et de considérer leur "pop art" comme un art majeur, jusque dans ses excès et son artificialité. Pour tous ceux qui, contre vents et marées, maintiennent que les Pet Shop Boys ne sont qu'un groupe de has-beens se prenant pour Village People, la vision de ce DVD devrait être obligatoire. Les autres le chériront d'eux-mêmes.
1 commentaire:
...le papier-peint derrière est vraiment à chier en tout cas... Tu devrais faire quelque chose, c'est limite supportable !
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