Loin de moi l'idée de présenter les fanatiques de musique comme des gens à plaindre, mais n'y a-t-il pas au coeur de cette course sans fin à la nouveauté, de cette frénésie d'achats et de ce besoin de tout connaître une fêlure cachée de la personnalité ? Depuis bientôt quinze ans, cette quête incessante d'informations, ce besoin de découvrir toujours plus de nouveaux groupes, de nouveaux genres de musique est un des principaux moteurs de mon existence. Tant qu'on se trouve dans le mouvement, cela semble finalement assez naturel, le fruit d'une curiosité intellectuelle qu'il serait bien malvenu de critiquer. Pourtant quand, pour une raison quelconque, on a l'occasion de prendre un peu de recul, d'objectiver son comportement, on se retrouve face à d'embarrassantes interrogations. A quoi cela sert-il d'acheter des disques ou de télécharger des fichiers, lorsque la plupart des disques bien rangés sur les étagères (jamais assez grandes) n'ont pas été écoutés plus de cinq fois ? Je ne sais même pas le plus souvent exactement ce que ma collection contient. Je sais juste que l'ensemble serait suffisant pour me permettre d'écouter de la musique 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pendant deux mois sans jamais avoir à mettre deux fois le même disque. Cela ne veut d'ailleurs pas dire que je n'écouterais pas deux fois la même chanson, car un à-côté désagréable de cette pulsion compulsive d'achat est de se retrouver parfois avec des doublons (j'ai déjà acheté par erreur cinq disques que j'avais déjà. Depuis, je me suis fait une liste) ou des quasi-doublons (le meilleur exemple étant sans doute pour moi les compilations années 80, toujours achetées à prix écrasés mais souvent quasi-identiques dans le choix des morceaux). Certes, l'instinct de collection est quelque chose qui n'est pas propre aux disques, et on pourrait certainement trouver des anecdotes tout aussi consternantes sur les philatélistes, les copocléphiles ou les fibulanomistes, mais la musique a ceci de particulier que notre environnement en est saturé. Quasiment tout le monde pratique la musique en dilettante, a un avis sur telle ou telle chanson à la mode ("Pfff. Las Ketchup, c'était quand même autre chose que O-Zone"... "Radiohead, ils sont trop géniaux"... "Obispo, c'est un naze") et possède au moins deux ou trois disques. Dans un tel contexte, les vrais mordus apparaissent d'autant plus excentriques.
Ces derniers temps, une autre question me vient souvent à l'esprit. Tout ce temps investi, tout cet argent dépensé sert-il un but tangible ? D'ici quelques semaines, je serai au chômage. Dans ces conditions, est-il bien raisonnable d'avoir encore acheté ces deux dernières semaines une bonne quinzaine de disques lors de deux expéditions chez les disquaires d'occasion de Bruxelles ? Ne ferais-je pas mieux de faire quelques économies et de me consacrer à la recherche d'un emploi ? Il y a quelque chose de glorieusement immature dans cette dévotion aveugle envers les oeuvres culturelles, et plus encore les modes d'expression populaire, ceux qui n'ont même pas le cachet chic des arts dits nobles. Certes, quand j'écoute Lycanthropy de Patrick Wolf, quand je vais voir un concert des Nits, quand je lis, le sourire aux lèvres, la chronique des singles de la semaine dans le NME ou bien quand je trouve en magasin un disque que je cherchais depuis longtemps, j'éprouve du plaisir et le plaisir peut être (et est le plus souvent) une fin en soi. Pourtant, le vil démon de la raison, vient de temps à autres perturber cette belle insouciance et demande à ce qu'on lui justifie les journées entières passées à classer, enregistrer, écouter ou commenter des disques. Que lui répondre ? La réponse logique serait de dire que je pourrai peut-être en vivre un jour et que cela justifiera a posteriori tout l'investissement consenti mais, même si c'est une possibilité que je caresse régulièrement pour le simple plaisir de l'entendre ronronner, je me rends bien compte que c'est assez improbable (beaucoup d'appelés, peu d'élus, pas les bonnes études,... toussah). J'en suis donc réduit à m'inventer des réponses telles que "On n'a que le bien que l'on se donne", "Ca m'a permis de rencontrer des tas de gens très bien" ou encore, en désespoir de cause, la franchement terrifiante "Au moins pendant de temps-là, je ne suis pas au bistrot et je ne vole pas les sacs des vieilles dames... et puis, c'est tout de même mieux que de s'intéresser à la formule 1, non ?"
...mais dans 10 ans, que restera-t-il de tout cela ?
1 commentaire:
ouais, ben tu n'es pas tout seul mec, je suis pareil... mais pas encore au chomage ;-)
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