Lorsqu'un chanteur atteint un certain niveau de célébrité, tout ce qu'il a pu enregistrer au cours de son existence devient en quelque sorte un fragment de son oeuvre et à ce titre digne d'intérêt, surtout s'il a eu le bon goût d'avoir une carrière-météore voire, c'est encore mieux, de mourir jeune. Signalons à ce propos que Grace, l'unique album de Jeff Buckley, va ou vient de ressortir dans une version 2CD+DVD (les fonds de tiroir chez les Buckley sont striés de traces d'ongles avides). Mais ce n'est pas de cela que je voulais parler aujourd'hui.
Je suis tombé sur un disque improbable intitulé 'In the beginning', qui reprend des enregistrements effectués par Scott Walker en 1958 et 1959, alors qu'il avait à peine une quinzaine d'années, bien avant donc les Walker Brothers ou sa tétralogie d'albums solos. A l'écoute, cela laisse une impression bizarre. Sa voix n'a pas encore trouvé le timbre quasi-extraterrestre qui allait transcender ses enregistrements d'adulte et il chante ici avec la voix de gorge d'un crooner de kermesse, le vibrato d'un roi de karaoké et l'assurance un peu gauche du gamin prodige qui a pris l'habitude d'être exhibé à la moindre occasion. Ce n'est pas à proprement parler désagréable à entendre. Les chansons, pour la plupart composées par un certain Baird, sont d'honorables exemples de pop des années 50 et 60 (Sing Boy Sing par exemple est assez entraînant, dans le genre). Ceci dit, avec le recul, le ridicule n'est jamais très loin et on peut se demander à quoi sert réellement un tel disque. Il existe certes un intérêt historique : ce disque prouve que même les chanteurs les plus intouchables, les plus vénérés peuvent avoir débuté leur carrière sous de douteux auspices. En écoutant ce disque, j'imagine très bien le jeune Scott, duvet aux lèvres, affublé d'un smoking trop étroit et d'un noeud papillon disproportionné, se dandinant seul sur scène face à une meute de grands-mères californiennes en mal d'attendrissement dont les yeux humides témoignent d'une résurgence d'instinct maternel, tandis qu'un manager sans scrupules compte ses dollars en coulisses. Je suppose que Scott Walker, dans sa tour d'ivoire, est au courant que ce disque existe et qu'il aurait pu en empêcher la sortie s'il l'avait voulu. S'il n'en a rien fait, c'est qu'il estime ne pas avoir à en rougir. Pourtant, comme toujours dans ces cas-là, le disque sort sur un obscur label anglais et il n'y a évidemment pas l'ombre d'un résidu de cette époque sur le (formidable) coffret rétrosepctif "Scott Walker in 5 easy pieces", sorti l'année dernière. Il ne doit donc pas non plus revendiquer complètement cette époque. Pour les fanatiques uniquement donc.
Toutes proportions gardées, cela me rappelle un disque intitulé 'Nick Carter : Before the Backstreet Boys', que j'ai eu la 'chance' d'écouter il y a quelques semaines. Certes, le style de musique est différent, mais l'intention derrière les sessions d'enregistrement et la manière de chanter ont l'air assez similaires. Je ne sais pas ce qu'il en est pour vous, mais le fait que Scott Walker et Nick Carter aient pu avoir, à un certain âge, des points communs me plonge dans des abîmes de perplexité.
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