Chaque année, à peu près à la même époque, je voudrais devenir anglais pour une soirée. La cause de cette étrange lubie est la retransmission sur la BBC de la Dernière Nuit des Proms, qui clôture traditionnellement la saison estivale des 'Concerts-Promenades'. Les 'Proms' existent depuis un siècle et sont une affaire tout ce qu'il y a de plus sérieuse. La programmation ne dévie que rarement de l'orthodoxie de la musique 'sérieuse' (pour employer une expression qui ne veut rien dire mais semble largement comprise) et les musiciens qui s'y succèdent sont en général de réputation mondiale, ce qui fait des Proms le plus grand festival de musique classique au monde.
Poutant, ce dernier concert de la saison est, surtout dans sa seconde moitié, indéniablement plus proche du concert rock que du concert classique. Le programme se termine par un enchaînement rituel d'oeuvres de compositeurs britanniques, oeuvres que le public connait absolument par coeur et chante avec entrain. Le Royal Albert Hall est envahi de drapeaux (majoritairement britanniques mais pas seulement) que les spectateurs agitent frénétiquement. Les spectateurs du parterre sont debout, déguisés en marins ou en chefs d'orchestre. Ils plient les genoux en rythme pendant les passages les plus taïaut-taïaut (Pompe et circonstances de Elgar) et se balancent dans une communion orgasmique de patriotisme goguenard durant les passages chantés (Jerusalem par exemple). Ils pleurent dans des grands mouchoirs disproportionnés pendant les moments tristes (la Fantasy on British Sea-Songs de Henry Wood contient un solo de violoncelle résolument lacrymal). Ils ponctuent les fins de phrase de coups de klaxon, lancent des serpentins, etc... L'ambiance est festive et leur enthousiasme terriblement communicatif, même quand on ne fait que les regarder bien tranquillement assis dans un fauteuil à plusieurs centaines de miles de là. Depuis quinze ans, j'ai dû ne louper qu'une fois la retransmission de 'The last night of the Proms' et, à chaque fois, j'ai passé la soirée avec un grand sourire béat sur les lèvres.
Pourtant, j'ai a priori beaucoup de mal avec le nationalisme et de voir tous ces gens agiter frénétiquement leurs drapeaux en reprenant en choeur non pas un, non pas deux, non pas trois, mais quatre (quasi-)hymnes nationaux (Land of Hope and Glory, Rule Britannia, Jerusalem et, évidemment, God Save the Queen) devrait a priori me rebuter. Pourtant, il n'en est rien, car ce qui est indéniablement une manifestation de patriotisme se fait dans une ambiance détendue et avec cette conscience aiguë de leur propre ridicule qui est la qualité que j'envie le plus aux Anglais. Chaque année, je me dis que, un jour, moi aussi j'irai à Hyde Park chanter Land of Hope and Glory sous la pluie, et je crois que je verserai même une petite larme de bonheur.
PS A : Attention de ne pas confondre les Proms anglais avec leur homonymes allemands ou néérlandais, qui ont tenté d'en recréer l'ambiance mais sans en comprendre l'esprit. On y entend Toto ou Meat Loaf au milieu de valses de Strauss et c'est à fuir.
PS B : On me confirme ce que je craignais confusément. Il n'y a pas grand-chose chez les jeunes anglais qui n'en veulent qui soit considéré comme plus ringard que les Proms. Comme quoi, la branchitude, c'est très surfait.
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