mercredi, janvier 3

Les albums de 2006 (III)

Dominique A - L'horizon (Olympic)
Bien que La Mémoire Neuve était déjà une fabuleuse collections de chansons et Remué un impressionnant concentré de bile et de rage, ce nouvel album (qui arrive après les décevants Auguri et Tout Sera Comme Avant), me semble marquer l'apothéose du développement de Dominique A en tant que chanteur et compositeur. A l'entendre ici, j'ai l'impression que, après plus de 15 ans, il a accepté de se revendiquer comme musicien, et ose enfin employer tous les outils de son art, notamment l'emphase et le lyrisme. La chanson qui ouvre l'album (et lui donne son nom) est parcourue d'un souffle épique que je n'avais jusque là jamais retrouvé dans son oeuvre. Cette nouvelle confiance me semble manifeste tout au long des 11 chansons qui composent ce disque. L'avant-dernière, Rue des Marais, est même une sorte de chef-d'oeuvre, qui sonne (pour donner une idée) comme un long développement autour de la première moitié du Exit Music For A Film de Radiohead. Les bourdonnements de guitare dans la seconde moitié, notamment, me font frémir de plaisir.
Presque chaque chanson sur cet album "sonne" juste, comme si l'interprète Dominique A (avec l'aide de ses musiciens) avait enfin trouvé un terrain d'entente avec le compositeur-parolier Dominique A. Je pourrais évidemment pinailler sur quelques points de détail. Ainsi, le break vaguement rock dans Retour Au Quartier Lointain aurait pu être mieux amené et les paroles de La Relève me semble s'égarer sur la fin dans la poésie de bazar (ou alors je suis irrémédiablement imperméable à la poésie, ce qui est très possible). Pourtant, face à une telle réussite, ce serait mesquin. Je me demande comment ce disque a été reçu à l'époque de sa sortie il y a quelques mois parce que, quand on y réfléchit, ce n'est pas forcément simple d'être un chanteur français "indépendant" (entendez par là biberonné et révélé par les Inrockuptibles). Regardez ce pauvre Miossec qui, pour avoir osé mettre des "papadadam" dans son single La Facture D'Electricité s'est retrouvé accusé par ses fans de la première heure d'avoir vendu son âme à la variété. Comme L'Horizon paraît à mon esprit formé par la pop plus immédiatement accrocheur (Dans Un Camion est une sorte de tube, non ?) que ses premiers albums, je ne peux m'empêcher de me demander si Dominique A s'est retrouvé accablé du même reproche. Je n'ai pas vraiment l'impression qu'il fasse ici un musique de variété, mais si c'est le cas, j'en redemande.
- Liens : Site officiel
- A écouter : Rue des marais (mp3)
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Lisa Gerrard - The Silver Tree (Rubber Records/EMI)
Depuis que je tiens ce blog musical, je n'ai jamais eu autant l'impression de me mettre à nu que lorsque j'ai tenté d'expliquer ce que représentait pour moi la musique de Dead Can Dance. C'est une évidence pour moi que Dead Can Dance était, est et restera mon groupe préféré, même si je les écoute à présent beaucoup moins. On pourrait presque dire que je n'ai plus besoin d'écouter les disques du groupe pour les apprécier. Il suffit que je me remémore mes écoutes passées pour être envahi par les sensations qui étaient les miennes à l'époque, presque comme un réflexe Pavlovien.

Les deux précédents albums solo de Lisa Gerrard avaient été des déceptions à des degrés divers. Je suis d'ailleurs convaincu que la magie de Dead Can Dance provenait en grande partie de son interaction avec Brendan Perry, dont le côté troubadour bourru parvenait à ancrer dans la réalité terrestre ses envolées les plus éthérées ou mystiques. De plus, j'ai un peu vécu la spectaculaire redécouverte de la religion par Lisa Gerrard comme une trahison personnelle (surtout manifeste à l'époque de Immortal Memory et de la sortie du film de Mel Gibson). Je tenais férocement à cette idée que la musique de Dead Can Dance n'était pas, comme on me le répétait souvent à l'époque, de la "musique d'église" mais était au contraire la porte d'accès vers une transcendance qui n'avait rien à voir avec les religions établies. Ecouter des morceaux comme Cantara, The Host of Seraphim ou Black Sun, avec ce mélange de violence et de beauté qui caractérise la musique du groupe, m'obligeait à me poser des questions. La musique de Lisa Gerrard en solo tendait plutôt à m'imposer des réponses.

Cette évolution dans la manière dont Lisa Gerrard semblait envisager sa musique (si on en croit les interviews en tout cas) s'était en plus accompagnée selon moi d'une nette panne d'inspiration. Un disque comme la BO de Whale Rider par exemple ne contenait pas une seule bonne idée de chanson. Sur Duality et Immortal Memory, des albums pourtant plus accomplis (et où, de manière très révélatrice, elle se sentait obligée d'être épaulée par des compositeurs extérieurs), Lisa Gerrard me semblait trop souvent se contenter de marmonner quelques notes sans ligne mélodique sur des nappes de synthé new-age qui rappelait plus directement Enya que Aion. Sûre, à juste titre, du pouvoir évocateur de sa voix, elle semblait vivre dans l'illusion que cela suffisait à faire un album. A mon avis, elle se trompait et c'est un soulagement pour moi de voir qu'elle semble avoir tourné le dos à cette absence d'ambition (peut-être est-ce d'ailleurs une conséquence de la tournée de Dead Can Dance en 2005, au cours de laquelle elle se serait apparemment retrouvée en lutte ouverte avec Brendan Perry sur la manière dont les chansons de Dead Can Dance devaient sonner).

The Silver Tree est pour moi l'album du retour en grâce, même si je ne suis pas sûr de pouvoir expliquer concrètement pourquoi. Bien que rien ici ne rappelle les transes que pouvait provoquer son travail avec Dead Can Dance ou les dissonances délicieusement malaisantes de The Mirror Pool, j'ai l'impression d'y retrouver une attention à la construction des morceaux, une envie de les faire évoluer dans le temps et de ne plus se contenter de ressasser une forme unique. Un morceau comme Towards The Tower, par exemple, est d'autant plus cinématographique pour moi qu'il ne ressemble guère à ses précédentes musiques de film. Durant 10 minutes, on y passe d'une atmosphère à l'autre comme un film passe d'une scène à l'autre, du calme à la tempête, de l'ombre à la lumière, du sourire aux larmes. Autre exemple de diversification, Space Weaver est une curieuse expérience trip-hop qui ressemble de manière troublante à ce que Liz Fraser avait déjà fait avec Massive Attack. Elle a de plus la bonne idée d'y chanter en anglais, ce qu'elle devrait à mon avis faire plus souvent.

Je pourrais continuer à énumérer ces raisons qui me semblent prouver que The Silver Tree marque une renaissance de son inspiration mais je ne suis pas sûr que cela soit très utile. Il n'est d'ailleurs pas impossible que certains d'entre vous ne voient aucune différence fondamentale entre cet album et les deux précédents. Peu importe au fond. Que ce soit elle et/ou moi qui ayons évolué, je me retrouve à nouveau en phase avec l'héroïne de mon adolescence. Pourvu que ça dure.

- Liens : Site officiel
- A lire : l'interview de Lisa Gerrard dans le numéro de décembre de D-side, même si on n'échappe pas à quelques clichés vaguement new-age sur la vie, l'art, l'inspiration et le reste
- A voir : le DVD Sanctuary (commandé mais toujours pas regardé)
- A écouter : Abwoon (mp3)
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3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je ne peux qu'être d'accord avec ton billet sur Dominique A :)
Je l'ai découvert sur le tard avec "Tout sera comme avant", album que j'aime bien mais qui me met de plus en plus mal à l'aise dés lors qu'on s'approche de la fin (comme la chanson sur les langues dont j'ai oublié le titre).
"L'Horizon" est quant à lui presque parfait : l'intro est haletante, le single est une chanson pop parfaite (1000X mieux que Miossec dont la chanson m'énerve), "Rue des marais" est vraiment magnifique et l'album tient finalement la route sur toute la longueur.
Je ne suis pas sûr d'être très objectif car je n'écoute pratiquement pas de chanson française, mais de la comme ça on aimerait en entendre plus souvent ;)

Anonyme a dit…

Touché par ce que tu écris à propos de L'Horizon de Dominique A, je me le suis procuré cet après-midi.
Une sorte d'encouragement (mon petit mot hein, pas mon achat) pour ce travail d'écriture courageux et astreignant. J'y reviens chaque fois avec plaisir et attention.

Pierre a dit…

Rhooo. C'est gentil. Ca me redonne du courage. :)