Après plusieurs années d'un intérêt poli pour Björk (surnommée "la Madonna des branchés" par quelques mauvaises langues), j'avais été conquis par Homogenic qui me semblait l'aboutissement de la démarche entamée avec Debut et Post et j'admirais sa capacité à créer des chansons qui fonctionnent aussi bien comme singles pop de consommation immédiate que comme fragments d'une oeuvre cohérente. A l'époque, je me repassais Bachelorette et Joga en boucle en ressassant inlassablement quelques bons vieux clichés. Je rêvais par exemple de faire le tour de l'Islande en bateau, en mangeant du poisson séché, en buvant du thé fait avec l'eau des geysers et en saluant à la mode laponne tout qui croiserait ma route dans un grand élan de communion avec la pureté de la nature dans un décor vierge et sauvage...ce genre de choses. Du coup, je voulais que l'album suivant contienne 10 Bachelorette et, à l'extrême limite, un Joga en morceau caché. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'avec Vespertine, on en était loin. J'ai donc eu tendance à rejeter l'album en bloc et pendant longtemps je ne l'ai plus écouté. Je ne m'y suis remis que récemment.
J'attendais donc ce nouvel album sans impatience démesurée, d'autant que, dans le même temps, il semblait que Björk avait définitivement assuré son statut de chanteuse intouchable. Pour de mystérieuses raisons, elle parvenait à bénéficier d'un succès public de grande ampleur tout en conservant son attrait auprès des snobs de tout poil (à part Radiohead, je vois mal qui d'autre parvient à concilier les deux à l'heure actuelle), et l'unanimité m'a toujours fait un peu peur.
Pourtant, bizarrement, son nouvel album, Medulla, semble avoir été accueilli un peu plus fraîchement. Les commentaires tournent souvent autour de l'idée 'Seule Björk aurait pu avoir l'idée de faire un album avec rien que des voix. C'est très bien qu'elle ait envie d'expérimenter, mais ça donne un album parfois un peu indigeste.' C'est une attitude un peu paradoxale parce que Medulla me semble plutôt plus simple d'accès que Vespertine, plus hétérogène aussi (le meilleur y côtoie le pire). On a tendance à le réduire à son gimmick (la quasi-absence d'instruments) alors que, à l'écoute, cela aurait presque tendance à passer inaperçu. Franchement, si je n'avais pas tellement lu de commentaires à ce sujet, je ne suis pas sûr que cela m'aurait frappé à la première écoute. Le disque peut s'apprécier en faisant totalement abstraction de cette petite bizarrerie.
La plupart des morceaux présente en effet une luxuriance d'arrangements qui contredit toutes les idées reçues que l'on peut abriter sur ce à quoi devrait ressembler un disque a cappella (voir Where is the line? et Pleasure is all mine par exemple). Comme souvent, il faut sans doute pour cela rendre hommage à sa capacité à bien choisir ses collaborateurs. Nous avons Dokaka (le beatboxer japonais), Shlomo (le beatboxer anglais), Rahzel (le beatboxer américain, membre de The Roots apparemment), Tagaq (une chanteuse de gorge Inuit), le Icelandic Choir et quelques autres (dont les habitués Mark Bell et Matmos). On trouve aussi deux invités a priori plus surprenants : papy Wyatt qui a la bonne idée de venir exhiber sur Submarine sa voix frêle à un public qui ne la connaîtrait pas encore, et Mike Patton qui semble résolu à lutter contre sa Midlife Crisis en participant à un morceau sur lequel on entend un beatboxing qui n'est pas sans rappeler Pop de Nsync (et ça, vous avouerez que, dans le genre faux-jeune, ça se pose là).
Le plus beau morceau de l'album est sans aucun doute 'Vokuro', qui, incidemment, semble être le seul qu'elle n'a pas composé elle-même (on le doit à une compositrice islandaise répondant au doux nom de Jorunn Vidar). Il fait un peu penser au morceau interprété par Bjork sur l'album de Hector Zazou "Chansons des mers froides", morceau que j'ai perversement longtemps considéré comme étant sa meilleure chanson.
Ceci dit, l'album n'est pas sans défauts. Desired Constellation par exemple finit, à force de chercher le dépouillement, par trouver le vide. Les morceaux où la voix de Bjork affronte seule l'auditeur, affublée seulement d'une petite mélodie mal foutue sont également tout à fait dispensables (Show me Forgiveness par exemple dont le titre semble déjà être un demi-aveu d'échec). Si on voulait à tout prix trouver une formule, on pourrait dire que le disque devient un peu laborieux lorsqu'il se rapproche de ce qu'on attend confusément d'un disque a cappella et que le minimalisme sied peu au tempérament de Björk, plus à l'aise dans la démesure et la sculpture sonore, mais tout cela ne serait que clichés indignes d'un blog de qualité. Donc, faites comme si vous n'aviez rien lu et passez à la ligne.
Il est aussi regrettable qu'elle soit incapable de se défaire de certains tics vocaux qui réapparaissent ainsi au milieu de certaines phrases, comme un vilain furoncle sur le nez d'un top-model en pleine période de défilés, par exemple ces "Ooooooooooh aaaaaaaah" qui partent brusquement vers l'aigu en milieu de phrase et dont elle s'est fait une spécialité (il y en a un bel exemple à 1:15 dans Desired Constellation).
Tout cela fait que, après une première moitié enthousiasmante, le disque s'essouffle franchement en son milieu avant de relever timidement la tête sur le dernier morceau. En conséquence, je pense que je vais profiter des facilités offertes par la technologie moderne et tirer de Medulla un EP formidable. Pour ce faire, les numéros gagnants sont : 1,3,4,6,9,12,14,7. Une demi-heure tout juste, mais quelle demi-heure !
Un dernier petit sujet d'énervement est que le livret est entièrement imprimé en noir sur noir. Ce serait formidablement arty si les titres des morceaux sur la face arrière n'étaient rigoureusement illisibles, même en lumière rasante. A moins de se détruire les yeux, il est donc plus facile d'obtenir les titres des morceaux en téléchargeant l'album sur le Web qu'en l'achetant en magasin en bon citoyen respectueux des lois. Je doute que cela soit un des objectifs d'Universal. Quant à lire les textes, je ne m'y essaye même pas. Rien que d'y penser, j'ai les yeux qui gonflent et les glandes lacrymales qui sécrètent (même si, après les deux premières pages, la couleur de fond s'éclaircit un peu et ça devient plus simple). Une fausse bonne idée donc, pour ne pas dire une vraie mauvaise.
6 commentaires:
Eh eh... un "intérêt poli", ça résume tout à fait ma relation avec Bjork dont les albums ont tendance à m'ennuyer un peu par manque d'émotions : beaucoup de respect mais peu d'enthousiasme.
Mais si cet album est effectivement bancal, je reconnais avec joie et vigueur que les meilleurs morceaux de la première partie sont prodigieux, ça me reconcilirais presque avec la demoiselle (puis je pense à Dancer in The Dark et j'oublie...).
Orthographe : les deux premièreS pages
Quant à Björk, je considère "Homogenic" comme son sommet. Et si je n'ai pas accroché à "Vespertine", j'ai été encore plus déçu par le dernier, que j'ai effacé sans remord de mon disque dur après une (seule) écoute. La Madonna des branchés ? Ou la Bowie du 3ème millénaire...
Je ne suis pas ŝur de voir le lien que tu fais avec Bowie à dire vrai. Juste qu'il fut meilleur à ses débuts que 15 ans plus tard ? Parce que, dans ces conditions, ils sont nombreux. Et puis, j'aime beaucoup Outside et Earthling, donc Björk a encore la possibilité de faire un très bon album d'ici 10 ans.
J'oubliais le plus important. Merci pour la correction. :)
Non, je pensais à Bowie en tant que passeur entre l'avant-garde et la pop (option haute) ou en tant que suiveur (option basse).
"Outside", très bien. "Earthling", nettement moins bien selon moi...
Je dois être un peu bizarrement fait mais contrairement à tous le monde (ici ou ailleurs), j'ai toujours préféré "Vespertine" et "Homogenic", je ne sais pas pourquoi d'ailleurs ? (la harpe, le coté cotonneux ?)...
Les atmosphères un peu lourdes d'"Homogenic" m'ont moins charmés également que ses deux premiers opus plus frais et transparents à mes oreilles.
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