mardi, septembre 14

P(otemkine) S(oundtrack) B(onanza)

Lorsque j'ai appris que les Pet Shop Boys avaient composé une bande originale pour 'Le Cuirassé Potemkine' et allaient la présenter lors d'un concert gratuit à Trafalgar Square, l'idée m'a frappé comme étant éminemment PSBienne, empreinte de cette volonté de combler le vide entre la culture pop et les art dits nobles. Ce mélange des genres n'a pourtant pas été hier soir sans présenter quelques inconvénients. Les spectateurs étaient nombreux (entre 15.000 et 25.000 spectateurs selon les estimations même si j'ai du mal à concevoir comment ne serait-ce que 10.000 personnes auraient pu s'entasser dans le peu d'espace disponible) et n'étaient pas tous là pour les mêmes raisons.

On pouvait distinguer quatre grands types de publics. D'abord, le cinéphile, situé à distance respectable de la scène pour mieux voir, petites lunettes rondes, un exemplaire de Sight&Sound dépassant de la poche intérieure de sa veste en daim, trop heureux de pouvoir regarder le film sur un écran géant. Ensuite, il y avait les fans des Pet Shop Boys, souvent la petite trentaine, habillés de tee-shirts distinctifs, massés dans les premiers rangs et venus découvrir 75 minutes de musique originale pour pas un rond (si ce n'est évidemment le prix du voyage, du parking et de l'hôtel éventuel, ce qui donne un sens tout relatif au terme 'pas un rond'). On pouvait ainsi repérer, collés à la scène, des Allemands, des Américains, des Hongrois, beaucoup de Hongrois, des Belges, des Français, des Néérlandais, des Anglais, des Suisses, des Danois, et sans doute beaucoup d'autres fans venus des quatre coins du monde pour assister à l'événement. Ensuite, il y avait, enfermés dans leur enclos privé sur les escaliers, les journalistes, les officiels et les VIP venus voir le nouveau projet de l'ICA (Institute of Contemporary Arts). Enfin, nous avions les activistes politiques auxquels la présentation précédant le film était destinée. Elle commença par un type debout sur une estrade en train de haranguer la foule et d'énumérer quelques-unes des 1700 et quelques manifestations qui se sont déroulées sur Trafalgar Square depuis sa construction (Reclaim The Streets, les manifestations contre la guerre en Irak ou au Viet-Nam, contre la Poll Tax thatchérienne, pour l'Irlande du Nord, pour les mineurs grévistes, etc....) avant de nous expliquer qu'Engels avait résidé quelques centaines de mètres plus loin lors de son séjour à Londres, le tout sur fond d'images édifiantes marquées du poing rouge de la colère (la phrase "50% de la population mondiale vit sous le seuil de pauvreté" est bien apparue dix fois sur l'écran) et entrecoupé de phrases (apparemment) extraites du Manifeste du Parti Communiste. Il ne semblait pas y avoir le moindre embryon de distance par rapport au discours, ce qui, pour un événement financé en partie par des deniers publics, m'a sur le moment même un peu surpris. Sans doute faut-il y voir la preuve que les slogans révolutionnaires ne font plus peur à personne et que le pourcentage de la population souhaitant une réforme radicale de la société est devenu tellement faible que les propos insurrectionnels ne sont plus que des colifichets à la mode, sans aucun pouvoir subversif.

Lorsque le film commença, un désavantage évident de notre position proche de la scène fut rapidement révélé. Il fallait lever les yeux vers le ciel pour voir le film et très vite j'ai eu mal au cou. D'un autre côté, cela signifiait que tout l'écran était visible, ce qui ne fut apparemment pas le cas pour les spectateurs situés plus en arrière, dont le champ de vision était envahi de parapluies ouverts. Je ne vais pas m'étendre ici sur le film qui était assez semblable au souvenir que j'en avais, soit, en gros : "Vive la révolution. Quoi ? Manger des asticots ? Vous n'y pensez pas. Arrêtez de tirer, messieurs les soldats. Regardez ce que vous avez fait à mon fils. Aaah ! Un landau dévale les escaliers. Pif paf. Hourra, camarades, nous avons gagné." Certes, même avec le recul de l'Histoire, il conserve un vrai pouvoir de galvanisation et de propagande mais j'ai du mal à m'investir totalement dans la vision d'une oeuvre que son époque éloigne irrémédiablement de moi.

Reste donc la musique, principale raison de ma présence. Créer une bande originale de film est un exercice compliqué, surtout quand le film est aussi connu et que l'on porte un nom aussi connoté que celui des Pet Shop Boys. Un équilibre délicat doit être trouvé et il aurait sans doute été impossible de contenter tout le monde. Les cinéphiles allaient crier au scandale si une musique trop envahissante dénaturait le film ou son propos (il n'est qu'à voir les tombereaux d'injures qui ont accueilli la nouvelle partition écrite par Giorgio Moroder pour Metropolis). Ceux venus pour entendre la nouvelle oeuvre des PSB allaient quant à eux critiquer leur manque d'inspiration si la musique semblait ne pas se suffire à elle-même.

Pour ma part, je pense qu'ils se sont plutôt bien tirés de cet écueil. La synchronisation entre la musique et les images était parfaite et le lien qui les unissait était en général évident. Seule l'insertion de trois chansons au cours du film m'a semblé poser problème. La voix de Neil Tennant est tellement reconnaissable que l'on ne peut s'empêcher de la dissocier du film. De plus, je ne suis pas sûr de voir en quoi la phrase 'How come we went to war?' chantée pendant le massacre perpétré par les troupes du Tsar sur les escaliers d'Odessa entre en résonance avec celui-ci. Je comprends bien qu'ils aient été tentés d'imposer leur marque sur LA séquence emblématique du film, mais je ne suis pas sûr qu'ils s'y soient pris de la meilleure manière. La qualité de la chanson n'est pas en cause, mais peut-être aurait-elle été plus à sa place en-dehors du film, dans un pré- ou post-générique par exemple. Heureusement, les passages chantés représentaient moins de dix minutes au total et étaient dans leur ensemble moins discutables.

La plus grande partie de la musique est dominée par l'électronique et les cordes du Dresdner Sinfoniker servaient principalement à donner à l'ensemble un ton plus organique, plus humain. Neil a expliqué dans une interview qu'ils avaient eu du mal à trouver un équilibre entre les tentations dissonantes de Torsten Rasch (le compositeur contemporain avec lequel ils ont collaboré) et leur propre sensibilité. Il semblerait donc que ce soit finalement eux qui aient imposé leurs vues. Ceci dit, cette impression pourrait aussi provenir du son durant le spectacle vu que l'orchestre semblait toujours un peu couvert par les machines. Il faudrait entendre l'enregistrement studio pour mieux juger.

Les noms évoqués dans la presse pour décrire la musique sont Soft Machine, Klaus Schulze, Orbital ou Jean-Michel Jarre. Je ne suis pas sûr qu'un de ces noms soit en lui-même un point de comparaison indiscutable mais, pris dans leur ensemble, ils délimitent assez bien l'ensemble de ceux qui peuvent venir à l'esprit durant ces 73 minutes de musique (Vangelis, µ-Ziq et Digitonal pour ma part, avec un soupçon de Peter Rauhofer, via un sample de son remix de 'I don't know what you want...'). Afin de ne pas trop distraire le spectateur de ce qui se passe sur l'écran, les Pet Shop Boys emploient beaucoup la répétition des mêmes motifs, au sein desquels des variations lentes et progressives servent à illustrer le propos du film. Les meilleurs passages pour moi correspondent à l'émeute des marins sur le Potemkine et aux préparatifs de la bataille navale (à la toute fin du film), passages pour lesquels la musique et les images font véritablement corps. Evidemment, rien n'étant parfait en ce bas monde, il y eut quelques moments où je fus moins convaincu, mais en général, à peine avais-je le temps de me dire "Ah, ça c'est pas terrible." qu'ils étaient déjà passés à autre chose.

Deux jours plus tard, mon impression globale est franchement positive. Ils ont réussi à créer un accompagnement sonore qui porte la griffe PSB, mais ne dénature pas l'esprit du film, ce qui semble indiquer que la greffe de la musique électronique sur un film de 1925 a bien pris. On peut d'autant moins parler de trahison que Eisenstein lui-même avait apparemment exprimé le souhait que l'on réécrive une nouvelle bande originale tous les dix ans, histoire que le film conserve sa modernité. Pourtant, je me garderai bien pour l'instant de crier au chef-d'oeuvre. J'aurais besoin pour cela de 2-3 écoutes supplémentaires. Le CD (ou le DVD ?) devrait sortir en février si tout va bien.

Comme à chaque fois que je vais voir un concert des Pet Shop Boys, j'ai ensuite pris un plaisir coupable à jouer au petit jeu du chat et de la souris avec Neil et Chris (les deux membres du groupe). Où sont-ils allés après le concert ? Aura-t-on la possibilité de les féliciter de vive voix ? De leur poser des questions ? D'avoir un autographe ? Même si la perspective d'un autographe ne me fait plus guère saliver (une fois qu'on en a un, on les a tous), il y a un côté gratuit à cette quête rituelle d'après-concert et cela génère un sentiment d'appartenance à un groupe (ce que Neil et Chris appellent eux-mêmes la communauté des Petheads) qui me met toujours un petit sourire aux lèvres. De plus, quand le sentiment du ridicule de la chose devient trop grand pour être ignoré, je me dis que je ne fais que suivre mes amis de peur de les perdre avant le voyage retour et que je ne suis évidemment pas empli de la même frénésie qu'eux. En général, ça me rassure et je peux me remettre à courir.

Comme il n'y a que quelques lettres de différence entre Eisenstein et Einstein, je vous laisse méditer le caractère relatif des impressions humaines.

5 commentaires:

godspeed a dit…

Donc si j'ai bien tout compris, tu as fait le voyage jusqu'à Londres rien que pour voir (euh, entendre plutôt) ça ?? Waouh, t'es vraiment fan des PSB donc...

Pierre a dit…

Ben oui. Ca reste tout de même un des deux meilleurs groupes du monde selon moi. Je ne pense pas l'avoir caché. :)

godspeed a dit…

J'avais compris que tu les appréciais mais je n'avais pas réalisé que c'était à ce point là !! Re-waouh... :)

Pierre a dit…

Ne sois pas si surpris. Ecoute dos à dos Love is a catastrophe, Being Boring, The Theatre, It always comes a surprise et, par exemple, You know when you went wrong. Et ose me dire que ce n'est pas un groupe énooooooorme. :)

michelsardou a dit…

Si je me rappelle bien le scandale pour Metropolis "remixé" par Moroder n'est pas venu de la musique, mais du fait qu'il ait coupé des scènes pour accommoder sa BO.
Même si je trouve le fait d'accompagner des fims muets formidable, il s'avère souvent que le moindre pianiste minable tire la couverture à lui (entendu plus d'une fois à la cinemathèque de Bxl). Bref, exercice pas facile, d'autant plus qu'il faut laisser son égo aux vestiaires. De la discipline et surtout de l'humilité!