jeudi, juin 10

Cry Wolf. Woohoo. Time to worry.

On est habitués depuis longtemps à voir débarquer des groupes de gamins de même pas 20 ans, qui font un boucan pas possible en croyant, à tort ou à raison, révolutionner le rock'n'roll. Ca peut donner Electric Soft Parade, The Music (et Kyo?) par exemple, ou encore The Coral dans le meilleur des cas. En revanche, il est plus rare de voir débarquer un(e) singer-songwriter de cet âge, prêt(e) à affronter le monde extérieur et le regard d'autrui, paré(e) de son seul nom. Depuis quelques années, qui peut-on citer ? Fiona Apple, Ron Sexsmith, Sondre Lerche, Gemma Hayes, et quelques autres sans doute. Aucun de ces noms pourtant n'a jamais suscité mon enthousiasme, et il faut bien avouer qu'aucun d'entre eux n'a connu de carrière fulgurante. En sera-t-il autrement pour Patrick Wolf ?

Son nom devrait en tout cas être chéri comme un trésor précieux par tous ceux qui aiment voir des univers singuliers se révéler à eux. Quand de plus cette révélation se fait sur la base d'un album aussi original que 'Lycanthropy', ça tourne carrément au miracle et l'enthousiasme devrait être de rigueur. Lycanthropy vient d'être distribué il y a quelques semaines en Allemagne et aux Etats-Unis, après une sortie en Angleterre l'année dernière. Le succès sera-t-il au rendez-vous ? Sans doute pas, mais ce fut sans conteste mon album de 2003. Bien qu'il bénéficie d'un mini-buzz prometteur en Belgique et que son concert à l'Ancienne Belgique fut un mini-triomphe, la France semble rester pour l'instant réfractaire. Pas de critiques dans les journaux, pas de concerts prévus.

Donc, pour compenser, permettez-moi d'être outrageusement dithyrambique, tout en conservant (évidemment) mon objectivité coutumière.

De Patrick Wolf je sais qu'il a plus ou moins 20 ans, qu'il a vécu à Londres et à Paris et qu'il joue parfois de la viole sur scène avec The Hidden Cameras. A peu près rien donc. Dès lors, tout mon enthousiasme a une seule cause. L'album, 'Lycanthropy', un disque complètement schizophrène, une sorte de Docteur Jekyll et Mister Hyde mis en musique.

Stylistiquement, c'est à la fois un disque folk acoustique et un disque électro. On peut passer d'une plage instrumentale avec violon, viole, guitare sèche, accordéon, clarinette et tout le toutim à des passages qui font penser à une sorte d'Atari Teenage Riot junior, d'une folk-song qui fait furieusement penser à 'The streets of London' de Ralph McTell ('Pigeon song', et si vous ne connaissez pas Ralph McTell, croyez-moi quand je vous dis que dans le genre folk urbain, ça se pose là) à un tube électro-pop imparable ('Bloodbeat'), ou encore d'un morceau qui rappelle Soft Cell ('Don't say no') à une comptine enfantine à la guitare ('Peter Pan').

Thématiquement, c'est un disque où les contraires semblent indissociables, l'innocence et la perversion, la vie et la mort. Patrick Wolf y apparait tour à tour naïf et cynique, enfantin et adulte, confiant dans l'avenir et convaincu de l'imminence de sa propre disparition. Un vrai disque d'adolescent donc, avec ses sautes d'humeur, sa propension à la grandiloquence et à l'auto-dénigrement. Les texte oscillent entre un romantisme adolescent, ombrageux mais teinté d'un optimisme mesuré ("I want two dogs, two cats, a big kitchen and a welcome mat. A boy like me don't ever give, give up his dream.") et un nihilisme teinté d'humour noir ("I used to say just follow your dreams/But my dreams always led me to murders").

Au milieu du disque se trouve une chanson inouïe, 'The Childcatcher' qui, en ces temps de procès à rallonge, laisse songeur. Comme son titre peut le laisser penser, on y trouve des phrases telles que 'You gave me shoes and pretty clothes and I gave you what I had between my legs' ou 'I think you even enjoyed it. I think I even saw you come'. Patrick Wolf endosse à la fois le rôle du prédateur, de la proie innocente et de la mère de celui-ci, en changeant de voix à chaque fois dans un morceau qui à force d'emphase expressionniste finit par fasciner (en plus de mettre mal à l'aise). Je ne crois pas me tromper en disant que vous n'avez jamais rien entendu de pareil. Et lorsque, dans la foulée, on entend 'Demolition', une longue méditation acoustique sur la douleur de n'être pas aimé en retour, on ne peut plus douter que l'on est en présence d'un grand disque.

Bien sûr, l'album n'est pas sans défauts. Patrick Wolf a une voix brute, pas travaillée, et il se laisse par moments aller à des dégueulandos pas piqués des hannetons ou à des "hohoho" ou de "éhéhé", qui semblent tout droit sortis du "Vice-Versa" des Inconnus. De même, par instants, une pointe de naïveté et un manque de retenue trahissent son âge. Cependant, quand on voit qu'il cumule les casquettes d'auteur, compositeur, interprète et instrumentiste, on ne peut que reconnaitre que ce projet est une vraie réussite. On se prend à rêver à ce qu'il aurait pu produire avec une production plus riche... avant de se dire que peut-être l'équilibre instable de ce premier album n'a été rendu possible que par l'absence de moyens. L'avenir nous le dira sans doute. Un deuxième album est d'ores et déjà en préparation. On parle d'un concept-album (gasp!) plus acoustique.

Dans un monde idéal, 'Lycanthropy' rencontrerait le succès, une maison de disques proposerait alors un pont d'or à Patrick Wolf, son deuxième album serait un succès mondial, et son troisième album pourrait avoir comme thème "comment la gloire m'a bousillé". Dans le monde réel cependant, Lycnathropy rebutera le plus grand nombre et sera un objet de culte pour quelques privilégiés. Un beau destin dans tous les cas.

PS : Vous n'êtes toujours pas convaincus que ce disque est génial ? Deux autres arguments :
- le disque commence par un loup qui hurle (loup, wolf, wolf, loup...jeu de mots)
- dans les crédits, on peut lire 'The instruments were not played by themselves. Although... close your eyes open your ears and do imagine they do.. Unfold into magic" (je ne traduis pas car ça sonne beaucoup moins bien en français)

Ca ne suffit toujours pas ? Tant pis pour vous. Vous faites partie du monde réel.

Sinon, si vous allez à Benicassim cet été, ne manquez pas d'aller jeter un oeil sur son concert. Vous pourriez peut-être y croiser Neil Tennant, ce qui fait toujours un truc à raconter au camping le lendemain.

PS : Une interview récente du bonhomme vient d'apparaître sur le Net. L'album vient aussi d'être chroniqué par Pitchfork. Pour la première fois également, je suis tombé sur une interview en français du bonhomme.

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