Les gens qui n'aiment pas la pop et préfèrent le rock utilisent souvent comme argument que le rock est plus 'authentique' (real) que la pop. Pourquoi alors les groupes de rock ont-ils aussi peu de scrupules à brider leur authenticité pour vendre quelques disques de plus ? Oui, oui. Linkin Park, c'est à vous que je parle. On n'a pas idée d'avouer ainsi que vos personnalités sur scène sont factices. Vous foutez en l'air toute la mythologie du rock'n'roll et vous montrez pour ce que vous êtes, de la pop à guitares.
Bon, je reconnais volontiers que partir de Linkin Park pour généraliser ensuite sur le rock est osé. Après tout, ils furent décrits à leurs débuts comme le premier boy-band nu-metal. Ils ont recruté leur chanteur via casting et ont même, gasp !, un DJ qui fait du scratch dans leurs rangs. Objection retenue.
Prenons Slipknot alors. Les guitares poussent des borborygmes informes, les chanteurs saturent, et la batterie assomme le tout avec des coups de massue à deux mains sur la tronche. Ca, c'est du rock, c'est sûr. Pas le moindre gramme de choeurs 'lalalayéyéyé', de 'Wooohooo' ou de mélodies sautillantes. Rien que du rock, de la testostérone, du métal avec juste ce qu'il faut d'esprit rebelle djeune autour.
J'ai souvent été étonné de voir que Slipknot recrutait la majorité de leurs fans chez les moins de 15 ans (les sweatshirts Slipknot sont essentiellement portés par les très jeunes adolescents). J'essaye de me remémorer cet âge et ne suis pas sûr qu'un groupe à la musique aussi particulière aurait pu me plaire à l'époque, quoique je pourrais sans doute faire un parallèle avec Twisted Sister et Sigue Sigue Sputnik, deux groupes que je vénérais à 12 ans. En fait, c'est peut-être là que réside l'explication. Ceux-ci partageaient en effet avec Slipknot un côté clownesque, et les enfants aiment les clowns, c'est bien connu, surtout les méchants clowns, et c'est pour ça qu'ils lisent Stephen King et écoutent Slipknot. CQFD. C'est ainsi équipé de ma nouvelle théorie à deux balles que je poursuis mon raisonnement.
Le groupe s'est sans doute lui aussi rendu compte que son public-cible était très jeune et a conçu le nouvel album en conséquence. La meilleure preuve en est qu'il n'arbore plus le label d'authenticité rock'n'roll attitude 'Parental Advisory'. Pas un seul juron pendant une heure. Un disque résolument tout public, ce que le précédent n'était pas du tout, lui qui commençait par un truc du genre 'I wanna slit your throat and fuck the wound'. Ici, au contraire, on nage dans un conformisme bon enfant, avec des élans de métaphysique à deux balles très prétentieuses que seuls les adolescents peuvent entendre sans sourire. En fait, on a l'impression que le disque est calibré pour taper dans l'oreille du type un peu marginal mais 'achement cool, comme on en a tous connus au moins un durant nos années d'école. Celui qui avait l'air un peu bizarre, avec ses cheveux ébouriffés, qui s'amenait parfois au cours avec un livre tout écorné d'un type au nom imprononçable (Nietzsche ou un truc du genre) dont il disait qu'il avait changé sa vie et qu'il citait à longueur de récréation. Evidemment, on ne comprenait pas exactement tout ce qu'il répétait ainsi (et rétrospectivement, on n'est pas sûrs qu'il en comprenait beaucoup plus), mais boudiou que ça sonnait bien.
The Subliminal Verses regorge pareillement de sentences définitives qu'on imagine parfaitement gravées au canif sur les bancs en bois de l'école par un adolescent pétrifié d'ennui durant un cours de latin particulièrement soporifique. Des trucs du genre :
* 'To find the time is to lose the momentum' (Parfois, il vaut mieux ne pas trop réfléchir et foncer. D'ailleurs, je me suis mis au parapente.)
* 'I am all, but what am I ?' (Où suis-je ? Où vais-je ? Dans quel but ?)
* 'I'm sick of being the butt of a cosmic joke' (A quoi tout cela rime-t-il ? Pourquoi nous a-t-on ainsi placés au centre d'un jeu dont on ne nous a pas expliqués les règles ?)
* 'The only way is all the way' (Tout ou rien. Carpe Diem. Oh Capitaine mon capitaine, toussah !)
* 'All of my questions are answers to my sins' (Oooh, c'est profond ça. Sûrement, ça ne peut pas être une manière détournée de dire que le bonheur est dans le fait de ne pas s'interroger, si ?)
* 'I am a world before I am a man' (Ce genre de phrases, ça marche toujours, une sorte de méthode Coué contre le sentiment d'insignifiance)
* 'Now, as far as I know, I don't know anything' (En général, c'est après avoir dit un truc de ce style que le type un peu bizarre précédemment cité voyait son petit groupe d'admirateurs se regarder en opinant du bonnet. Ca sonne formidablement bien, et ça fait tellement philosophique que ça doit sûrement être vrai... L'humilité de l'homme face aux mystères de l'existence... L'espace est tellement infini... Comment pourrait-on jamais en faire le tour ?)
* 'The ony way to go is to go away' (Ca aussi, les phrases sentencieuses basées sur les jeux de langage, c'est souvent payant. Le filon est inépuisable : la libéralisation du marché est une couverture pour la marchandisation des libertés, il est interdit d'interdire, toute l'évolution actuelle de la société est dominée par la recherche d'un équilibre entre le sens des valeurs et la valeur des sens... ce genre de choses.)
Musicalement, ils tentent également d'arriver à autre chose avec même sur un titre ce qui ressemble furieusement à des violons. Ca sonne toujours très bien, même si le disque contient moins de chansons marquantes que leur précédent album (Iowa, dont la dernière plage est pour moi ce qu'ils ont fait de mieux). Cette impression provient peut-être aussi de l'inadéquation totale entre les paroles et la musique qui fait que l'on est parfois obligé d'en rire, ce qui pour un groupe qui semble curieusement ne fonctionner qu'au premier degré, est gênant.
Sinon, je dois reconnaître que le livret est absolument splendide et très très très très très très inspiré par le travail de V23 pour 4AD. Même police de caractères, même mise en page, même utilisation des photos, des recouvrements, etc.... Il mériterait presque à lui seul l'achat.
2 commentaires:
On peut quand même reconnaître à Linkin Park d'avoir réussi à faire du sous Limp Bizkit (flûte ça s'écrit comment???) ce qui n'est pas un mince exploit...
Toh. Comment oses-tu ? Comme groupe pop, Linkin Park plane 150000 coudées au-dessus de Limp Bizkit. De plus, ils sont infiniment moins têtes à claques que Fred Durst dont l'obstination à prétendre partager la haine des garçons de 16 ans qui ne supportent plus leurs parents est grotesque. Surtout de la part d'un multi-milliardaire, directeur de son label et fan de golf.
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