Depuis des années, un pan entier de notre société vivait dans l'oppression, ostracisé par un apartheid culturel injuste. Alors que les médias de masse (Arthur en tête) nous vendent une nostalgie sur le mode Casimir-Goldorak-Emile et Images, quelles ressources ont pour s'attendrir sur leur passé les gens qui sont passés à côté de la culture populaire de cette époque ? Ceux qui ne regardaient pas la télé mais lisaient des romans, n'allaient pas voir le Grand Bleu mais Woody Allen, n'écoutaient pas le Top 50 mais Joy Division ou les Smiths. La tribu pré-Inrockuptible, si il fallait vraiment lui donner un nom, n'aurait-elle pas droit à sa Madeleine de Proust de masse, la possibilité de s'attendrir de concert devant des références communes ? Cela ne pouvait durer, il fallait agir. C'est ce qu'a bien compris Vincent Delerm, qui semble ainsi baser son écriture sur une énumération des souvenirs culturellement corrects des universitaires et des fil(le)s de bonne famille (qui sont bien souvent les mêmes).
Je partage bon nombre des références égrénées par Delerm : le fétichisme des collections de livres de poche, les références à Modiano, à Deutsche Grammophon, etc.... Pourtant, une amie qui me connait bien, m'avait dit que ce n'était pas un chanteur pour moi, que je ne devais pas écouter ses disques et que ça allait me mettre de mauvaise humeur. Je ne l'ai pas crue. J'aurais dû.
Très vite, cette litanie de noms, d'oeuvres, de marques, égrénée avec suffisance devient en effet insupportable. A chaque fois qu'apparait un nom qui fait partie de mon inconscient personnel (prenons Sergi Bruguera par exemple), je n'ai qu'une seule envie, l'occulter, l'oublier au plus vite, me convaincre qu'il ne m'évoque rien, de peur de me retrouver dans la vision du monde véhiculée par ce disque. Pourquoi tant de haine ? Une raison épidermique tout d'abord : la voix. Delerm chante (je ne suis pas sûr que ce soit le bon mot) sur un ton à ce point affecté qu'il devient pour moi une barrière infranchissable, derrière laquelle je ne perçois plus aucune humanité. Je ne conçois pas que des êtres de chair et de sang puissent parler ainsi, en tout cas pas ceux avec lesquels je pourrais partager des souvenirs autour d'un verre. Dès lors, il m'apparait plus comme une sorte d'entomologiste-braconnier venant chasser les papillons de ma jeunesse (oh oh) pour les épingler dans une vitrine au coeur d'un musée auquel je n'ai pas accès. Ces lambeaux de mémoire qui me sont chers, il les inscrit dans une vision de la vie qui m'est étrangère (un sorte de dandysme snob trop conscient de lui-même) et donc quelque part m'en dépossède.
Et puis, franchement, comment pourrais-je partager sans honte des
souvenirs avec quelqu'un qui ose écrire sans la moindre trace d'ironie : "des Anglaises pâlichonnes avec Joy Division (prononcé Djoï Divizionne, pour la rime, parce que bon, les rimes c'est important)" ou encore "du Henri Dutilleux quand elle relit Bourdieu (Chez ces gens-là, on ne lit pas Bourdieu. Non. On relit Bourdieu), ou bien encore faire rimer Telemann avec François Feldman ? La réponse est simple, je ne peux pas, et surtout je ne veux pas.
3 commentaires:
Je suis un peu déçu que tu reprennes à ton compte certains arguments un peu faciles sur une cible qui ne l'est pas moins (parce que oui, son deuxième album n'est pas très réussi -- la collaboration avec Keren Ann et Dominique A est vertigineusement ratée entre autres).
La voix, par exemple, je trouve ça un peu /irrelevant/ : j'imagine qu'en cherchant bien, il y a plein d'artistes sans voix que tu apprécies.
Et l'attitude, le "dandysme", ça me semble un brin exagéré de qualifier comme cela ce mélange d'amour-propre intellectuel et d'auto-dérision. On a vu dandy plus sûr de lui et de son charme.
Désolé. Je n'ai pour ainsi dire rien lu sur le bonhomme, excepté l'article des Inrocks, don je n'ai aucun souvenir donc si je reprends dses arguments bateau, c'est sans le vouloir, mais franchement, tu vois de l'auto-dérision dans son discours ? Mon principal problème est que je n'en vois pas justement. Je ne vois que le côté légèrement prétentieux de l'exercice. C'est épidermique, j'en conviens volontiers. Et je ne lui reproche pas de ne pas avoir de voix, je lui reproche surtout ses intonations, la manière dont il dit ses textes. Ceci dit, je trouve qu'il y a deux-trois bonnes choses dans ses musiques. Le premier album est vraiment meilleur ?
Le premier album est plus homogène dans la composition, mais compte-tenu de tes réticences, je te ne le conseille pas, il a au fond les mêmes "défauts"...
En ce qui concerne l'auto-dérision, elle est très flagrante en concert, mais le problème est peut-être qu'elle ne ressort pas sur disque.
Mais bon, tout ça n'est pas très important.
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