On dit souvent que c'est dans les vieilles marmites que l'on fait les meilleures soupes. Or, il est difficile de trouver marmite plus usagée que celle où, depuis des années, des garçons sensibles jettent en vrac leurs tourments, leurs voix mal assurées, et les mélodies délicates qu'ils découvrent en se gratouillant la six-cordes affalés sur leur lit, les yeux dans le vague (c'est en gros ce que j'appelle ici le 'folk', faute d'un terme plus adapté). Pourtant, à écouter trois disques sortis récemment, il semble bien que le choix de la marmite n'est pas tout et que, pour obtenir un bon potage, il ne faut pas hésiter à faire preuve d'un brin d'imagination dans le choix des ingrédients qu'on y plonge.
Les Kings of Convenience sont déjà des vieux routiers. Ils furent à la pointe il y a deux ou trois ans de l'éphémère 'New Acoustic Movement' que le NME tenta de lancer, avec les Turin Brakes notamment. Je garde de leur premier album (dont le titre sonnait comme un manifeste Quiet is the new loud) le souvenir d'un disque enchanteur, léger, cristallin, plein de mélodies bondissantes où leurs deux voix se chevauchaient sans cesse. Depuis, ils avaient sorti un album de remixes un peu décevant et l'un d'ente eux, Erlend Oye, s'était même découvert une vocation de DJ et avait sorti un album surfant sur la vague électroclash, enregistré au gré de ses rencontres. J'attendais donc avec une certaine impatience ce nouvel album en duo, me demandant comment ils allaient incorporer ces nouvelles influences dans leur musique. La réponse est de ce point de vue assez simple. Ils ne l'ont pas fait, d'où une pointe de déception. Certes, ils n'ont pas perdu leur sens de la phrase accrocheuse, certes l'album dégage toujours le charme délicat d'un pique-nique champêtre dans une clairière ensoleillée. Pourtant, maintenant que l'on en sait un peu plus sur les références musicales d'Erlend Oye et que l'effet de surprise ne joue plus, le charme n'opère plus tout à fait de la même façon et l'ensemble apparait un peu trop 'fabriqué', d'autant que la seconde moitié du disque où semblent rassemblées les chansons calmes marque à mon avis une nette baisse d'inspiration. Ce n'est en rien un mauvais disque, mais on en vient pourtant parfois à se demander si le monde avait vraiment encore besoin de nouveaux Art et Garfunkel, maintenant que les originaux se sont reformés.
Devendra Banhart envisage quant à lui son rôle de troubadour moderne d'une manière beaucoup moins conventionnelle, et son nouvel album génère sur la longueur un vrai sentiment d'étrangeté. Même si on se trouve à première vue en terrain connu, la joliesse de ses compositions et la fragilité de sa voix semblent toujours prêtes à céder la place à quelque chose de beacoup plus sinistre. Des accidents semblent venir en permanence mettre les chansons en danger et effectivement, parfois, sans crier gare, certaines basculent complètement et on se retrouve face à des morceaux qui ne dépareraient pas sur 'The Anthology of American Folk Music' (This beard is for Siobhan par exemple). Brusquement, on cesse d'entendre un jeune Canadien bien de sa personne sculptant avec compétence des petites miniatures folk pour imaginer un bluesman presque mort se lamentant sur son sort avec une voix tour à tour lasse et furieuse qui semble émaner du fond des âges. Durant les premières écoutes, le disque semble ainsi régulièrement osciller entre deux visages irréconciliables. Puis, au fur et à mesure que l'on se familiarise avec les chansons, on se rend compte qu'en fait le disque est d'une grande homogénéité et que le petit faiseur folk n'a jamais existé que dans notre armoire à stéréotypes et que le disque est tout entier l'oeuvre d'un vieux bluesman oublié. Comment ce dernier s'est retrouvé dans la peau d'un jeune Canadien d'à peine 20 ans reste cependant un mystère. En tout état de cause, lorsque le micro-label Hinah a déniché les premières démos de Devendra Banhart il y a deux ans, ils ont indéniablement eu du flair.
L'album de Gravenhurst sillonne de nouveau le même terrain. Toutes les chansons sont basées sur le binôme guitare et voix, et on entend même de temps en temps un harmonica dans la plus pure tradition folk 70s. Mais, au contraire de Devendra Banhart qui a renouvelé le genre en allant puiser dans le passé, Gravenhurst s'est tourné vers une production contemporaine qui, par petites touches d'orgues ou quelque effets d'échos, tire ses chansons classiques vers une douceur cotonneuse qui rappelle Mojave 3 par exemple. On pense aussi par moments à un Maximilian Hecker qui aurait remplacé le piano par la guitare. Même sens des atmosphères, même délicatesse, même fragilité. L'ensemble intrigue, sans doute parce qu'il ne semble jamais se contenter de suivre à la lettre une recette existante. Cette mise au goût du jour de la grammaire habituelle du folk n'étonne guère sur un label tel que Warp, qui n'était pas jusqu'ici vraiment connu pour ses obsessions passéistes.
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