jeudi, février 16

Les albums de 2005 (XVII)

Sunn O))) - Black One (Southern Lord)
Imaginons un instant que l'on définisse l'ambient comme un type de musique fonctionnant par imprégnation, comme un bain sonore où la notion de temps n'existerait plus et dans lequel l'auditeur serait invité à s'immerger et à se fondre. L'ambient s'opposerait alors à tous les autres genres musicaux dont l'écoute nécessite de suivre un déroulement temporel imposé par le compositeur. Si on accepte cette définition, Sunn O))) est indéniablement un des meilleurs groupes ambient actuels. La musique produite par Greg Anderson et Stephen O'Malley a beau être fondamentalement différente des miniatures synthétiques diaphanes de Brian Eno ou de Future Sound of London, je l'écoute dans le même état d'esprit. Les hurlement étouffés de Wrost et Malefic, les lents accords de guitare saturée qui résonnent à l'infini et les touches d'electronoise de cette vieille baderne de John Wiese se combinent pour former un univers sonore parfaitement cohérent et immédiatement identifiable. Ce nouvel album n'est d'ailleurs pas très différent du précédent, que j'aimais déjà beaucoup. Le meilleur morceau est clairement pour moi Cry for the Weeper où les infra-basses habituelles du groupe alternent avec des sons de synthés plus aigus et des bruits de cloches presque joyeux (à leur échelle). En fait, j'aime Sunn O))) (ou dans un genre proche Pan Sonic) parce que leur musique ne ressemble à rien de connu (par moi en tout cas) et fait constamment appel à mon imaginaire. Je suis incapable de l'écouter sans avoir aussitôt l'esprit envahi d'images, et ça, c'est une qualité précieuse.

Cass McCombs - Prefection (4AD)
Rares sont les artistes dont on peut dire sans l'ombre d'une hésitation qu'ils s'améliorent avec le temps. Le premier album de Cass McCombs, gentiment insipide, ne m'avait laissé aucune impression durable et je n'attendais donc pas grand chose du deuxième. J'avais tort car il est bourré de tubes indie-pop à guitares (Equinox, Substraction, Multiple Suns, She's still suffering ou All your dreams may come true) qui évoquent tour à tour les Flaming Lips, The Music, The Charlatans, Cure, Beck, Roxy Music, Belle and Sebastian et plein d'autres. D'ailleurs, Morrissey ayant pris des vacances en 2005, Sacred Heart remporte haut la main mon prix de la meilleure chanson des Smiths de l'année. Malheureusement, ce disque donne parfois l'impression de n'être qu'une compilation de démos et cette impressionnante collection de joyaux pop forme au final un album légèrement frustrant. La voix de Cass McCombs par exemple manque de personnalité et tend à affadir les mélodies et certains arrangements mériteraient un peu plus d'ampleur. Cela dit, ça reste une excellente surprise.

Backstreet Boys - Never Gone (Jive)
Dans le domaine de la pop commerciale, les grands retours médiatiquement orchestrés font en général long feu (pauvres Duran Duran), et celui-ci ne fait pas exception. Tentant de se fondre dans l'air du temps, le groupe a abandonné la pop synthétique de leurs meilleurs années (leur album Millennium reste un modèle du genre) pour une forme assez terrifiante d'emo-pop à guitares. On est souvent très proche de ce que les anglo-saxons appellent la "power-ballad" (quelque part entre Crazy d'Aerosmith et Feel de Robbie Williams). Je dois dire d'emblée que Never Gone est dans l'ensemble un très mauvais disque et j'en parle ici uniquement pour pouvoir dire un mot de leur single Incomplete, pour lequel je me suis pris pendant plusieurs semaines d'une passion irrationnelle. Ma cousine (autre victime de l'envoûtement que ce morceau exerce) prétend que je suis incapable de résister à une intro au piano et elle a sans doute en partie raison (j'ai également éprouvé par le passé de coupables indulgences pour Bruce Hornsby & the Range ou Beverley Craven). En fait, Incomplete parvient à tenir un équilibre difficile : suffisamment grotesque pour faire sourire les cyniques, mais pas assez pour basculer complètement dans le ridicule. C'est typiquement le genre de chansons que l'on se surprend à chantonner dans les allées de son supermarché (jugez par vous-mêmes ici). Stylusmagazine l'avait placée 24ème dans son classement des meilleurs singles de 2005, entre Feist et Bloc Party, et c'est une place qui lui convient parfaitement. Je sauve également de l'album Climbing the Walls (écrite par Max Martin) mais le reste ira rejoindre les oeuvres complètes de Boyzone et de Westlife dans les poubelles de l'histoire.

(courage, plus que deux billets)

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce matin, dans le métro, je repensais à cette conversation que j'ai eue avec ma moitié, hier soir, à propos de Backstreet Boys. Et en pensant à cela, je me suis juré de venir refaire un tour par ici et y laisser un commentaire. Car en effet, si j’ai parfois du mal à te suivre dans tes choix (sur base des morceaux disponibles, Rachel Stevens demeure pour moi un mystère) je n’allais pas louper une occasion de rebondir à l'un de ts billets et surtout d'enfin rélféchir à ce mes sentiments envers les Backstreet Boys :-)

Les divergences, tu les connais. Je ne parle pas des goûts car ce genre de divergence n’en sont pas vraiment, selon moi (on a chacun les siens et basta). Mais tu sais combien j’ai parfois du mal à te lire épingler régulièrement ce que j’appellerais ton « axe du mal » (hype, bobo, mode, pseudo-intégrité etc). Non parce que je ne suis pas d’accord avec toi (je regretterai également toujours que l’on détermine ses goûts en fonction de tels critères), mais parce que je ne comprends pas la nécessité, d’une part, de parler de ce que tu aimes en dénonçant, comme un négatif, ce que tu n’aimes pas (j’exagère, ce n’est pas du tout systématique, mais ça arrive) et, d’autres part, d’épingler systématiquement ce fait, plus ou moins avérés qu’est la hype-mania (certes, cela existe sans doute et existera sans doute toujours, mais dans quelle proportion ? On peut aussi croire, je pense, qu’à un moment, un grand nombre de personne apprécient, en même temps et pour des raisons qui leur sont propres, une même musique). J’y lis souvent entre les lignes (et c’est sans doute, avant tout, une lecture parmi d’autres) qu’il te semble impossible d’imaginer qu’on puisse aimer ces groupes/artistes/albums/morceaux pour d’autres raisons que celles que tu dénonces (et qui, nous sommes d’accord, sont loin d’être les meilleurs) et c’est cela qui me heurte le plus.
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Mais soit. Je voulais donc saisir la « Blackstreet-Boys-occasion de te dire combien j’apprécie la distance avec laquelle tu traites ton propos et abat ce travail de bucheron (déjà 36 albums 2005 de chroniqués…). J’apprécie tout particulièrement (et je ne lance pas ici des fleures gratuitement pour faire passer mes critiques : je le pense très sincèrement) ton indépendance d’esprit, la clairvoyance de tes propos, le calme et la mesure de tes réactions dans les commentaires, et surtout (surtout !!!!) le fait que tu me donne ici l’occasion de faire mon coming out Backstreet Boys 

J’y viens. Suite à ton billet, donc, et au lien vers la vidéo qui celui-ci inclut et que j’ai fait voir à ma douce et tendre, je lui ai raconté cette période de ma vie au cours de laquelle, jeune étudiant que j'étais, mes soirées alcoolisées se terminaient irrémédiablement par des séances furieuses de Backstreet Boys mania. J'ai en effet toujours eu une sympathie mi-amusée mi-sérieuse pour ce groupe. Et je trouve que tu as parfaitement (ou presque) cerné le problème : « suffisamment grotesque pour faire sourire les cyniques sans jamais basculer complètement dans le ridicule ».
Ces garçons m’ont fait sourire, rire, énormément. Mais je n’y vois rien de cynique. J’ai toujours adoré le grotesque de leur imagerie, leurs clips-tiroirs-à-clichés, leurs chorégraphies « élaborées », leur jeu d'acteur digne des meilleurs séries B. Grotesque, mais pas ridicule . La différence est ténue et c’est sans doute la musique qui marque le mieux la différence. Elle a toujours été un poil au-dessus de leur imagerie. Un poil plus innovante, un poil plus convaincante, un poil plus « court-circuitante », un poil plus « parfaite ». Des refrains parfaits, qui s’insinuaient bien vite dans mes oreilles pour n’en ressortir que de longues semaines plus tard. Et là où leurs grimaces peuvent parfois confiner au ridicule, il y a dans le chant un foie confondant qui les préserve de ce faux pas et sert « magnifiquement » des compos, certes grotesques car pleine de clichés, mais pas ridicules pour autant, car diaboliquement efficaces. Incomplete ne fait pas exception. Un clip plein de clichés, on est en terrain connu et déjà je souris. On se passe le micro (inégalement ; l’important c’est de figurer/participer), le couplet pose le décor, puis la tension monte d’un cran, le blondinet prend le relai, la musique s’arrête, il tombe à genoux dans la poussière (tandis qu’un autre regarde le ciel) et tout éclate. On serre les poings, on combine les configurations vocales, il y a des flammes, du vent, des vagues, la tension est partout et toujours il y a ce moment de rupture, où la musique se retire et laisse les voix relancer un nouveau refrain interprété les larmes aux yeux, les mains dans la poussière sur des nappes de synthés.
Ca fait sourire, évidemment, c’est merveilleux même tellement c’est naïf. Mais bon dieu, ca fonctionne. Et bon dieu combien j’aimerais avoir une dune de sable dans mon salon (et surtout un gros chagrin de cœur) pour pouvoir moi aussi tomber à genoux, lever mes mains pleine de sables vers le ciel en hurlant ma peine et chanter à plein poumon combien ma moitié me manque. C’est si bon (mais sans le sable, ça fait plus mal), ça me fait tant rire et/mais c’est si bon. Je ne parle pas seulement de l’exercice « défoulatoire », mais bel et bien aussi de la chanson ! Parce que je la trouve foutrement efficace (pas ridicule), bien qu'elle me fasse sourire/rire (mais grotesque). Elle pourrait être reprises avec brio et ingéniosité par n’importe quel groupe plus « indiequement » correct que ça n’aurait jamais la même saveur. On éviterait sans doute totalement le risque du ridicule, mais ça n’aurait jamais ce parfum grotesque qui rend la chose si délectable. (Et si universelle : il y a de cela quelques années, j'ai passé une soirée entière avec des Brésiliens à rejouer le pire et le meilleure des Backstreet Boys - dans une chambre d'hôtel de Bareto où nous allions assister à un festival de country musique, ça ne s'invente pas)
Voici donc ma question : pourquoi « cynique »? Moi qui souri en écoutant Backstreet Boys, suis-je cynique? Et est-ce que c’est grave docteur? Et cela se soigne-t-il ?


Merci Pierre, de rester fidèle à toi-même et de m’avoir fourni cette occasion si chère d’enfin conscientiser ma passion pour Backstreet Boys. :-)

Pierre a dit…

Fichtre. Comme quoi, j'ai bien fait de parler des BSB (j'avais hésité pourtant :)

Pour le reste, je pense que parler d'"axe du mal" est en un chouïa excessif. Je n'ai aucune croisade à mener. Tout au plus m'étonné-je parfois du consensus qui semble exister dans les grands médias (online ou papier) sur certains disques. Et comme j'ai l'impression d'aboyer tout seul, j'aboie parfois plus fort que de raison. Mais rassure-toi, plus j'aboie moins je mords.

Il me semble qu'il existe un réel décalage entre la proportion de gens que je rencontre qui trouve qu'Arcade Fire (ou Sufjan Stevens) sont "géniaux" (20% à vue de nez, même parmi des passionnés de musique) et celle des chroniqueurs ayant la même opinion (80% pour les médias que je fréquente). Pour l'expliquer, soit on considère que les gens qui aiment écrire sur la musique ont tous des goûts similaires (ça m'a l'air peu probable), soit qu'un effet d'entraînement général joue et tend à uniformiser les avis exprimés. Franchement, j'ai parfois l'impression que Monsieur Pitchfork est un peu le grand Mandarom de la planète indé et que le monde entier attend da bonne parole pour aller la propager à toute vitesse (ils aiment plutôt bien Rachel Stevens cela dit, comme quoi :).

Individuellement, je suis tout prêt à croire que les goûts de chacun sont sincères (j'en suis même à peu près persuadé) mais statistiquement, il me semble qu'il y a un truc qui coince.

Sinon, c'est sans doute l'occasion de redire que revendique tout à fait mon droit à la mauvaise foi ou aux raisonnements à l'emporte-pièce. C'est une bonne moitié de mon plaisir d'écrire ici. :)

Anonyme a dit…

"Axe du mal" est exagéré et je le revendique :-) Que sois vénéré le culte de la mauvaise foie et de l'exagération :-)

Pour le reste, je comprends ton raisonnemment, mais bon, si je devais me fier à mon entourage , même pris au sens large, il y a un paquet de truc qui coincent statistiquemet lorsque je lis des journaux, navigue sur le net, regarde la tv, écoute la radio etc.

Et puis entre être "géniaux" et mauvais, y a de la marge. Etre bon, touchant, efficace, créatif etc c'est déjà pas mal. Le géni est une chose plus rare que le talent, je crois.


Sinon, pour le cynisme ... alors ? Je n'insite pas ?

Pierre a dit…

Quand on fait des commentaires de deux pages, il ne faut pas s'étonner qu'on reçoive des réponses incomplètes. :)

Le terme "cynique" que j'ai employé n'est pqs le meilleur mais n'en trouvant pas d'autres, je l'avais laissé. Si tu as des suggestions, je suis toute ouïe.

Je voulais en fait par là désigner une classe de gens qui tire du plaisir à porter des jugements parfaitement excessifs, du genre : "Putain que c'est mauvais, ça me donne envie de m'enfoncer des piques à brochette dans les oreilles pour être sûr de ne plus jamais entendre ce pareilles horreurs." et un plaisir encore à plus grand à bien faire comprendre par la suite que ce ne sont que des mots qu'il assemble pour tirer un pouvoir de sidération maximal de son auditoire mais qu'au fond, il n'apporte pas lui-même une grande importance à ce qu'il raconte et que, même après avoir employé des mots si durs, il se réserve le droit de chanter Incommmpleeeeete à tue-tête en imitant les mimiques du blondinet parce que, au fond, qui aime bien châtie bien.... Soit en gros ceux qui utilisent des propos excessifs pour masquer leurs doutes ou leur absence de vision globale de ce dont ils parlent.

Je ne suis pas sûr de bien me faire comprendre et j'aurais sans doute mieux fait de parler de "fans du second degré", ça aurait moins porté à confusion.

Anonyme a dit…

J'ai très bien compris, je vois bien de quoi tu parles... :-)

Anonyme a dit…

je trouve que never gone est un album interessant car il montre que les bsb peuvent faire autre chose que de la pop commerciale.Les chansons ne sont pas originales mais ces enfoirés ont des voies exceptionelles.

Anonyme a dit…

je pense que parmi tous les albums de merde qui sortent aujourd'hui, never gone des bsb est loin d'etre le pir.En france les bsb ont une mauvaise image car les gens ont des clichets sur les boys band.J'ai joué plein de fois des morceaux des bsb et les gens ont souvent apprécié.IL faut les écouter avant de les juger.